Repérer les enfants en difficulté dès la maternelle, une nécessité

Suite aux réactions générées par la décision du Ministère de l’Education Nationale de proposer aux enseignants des outils de repérage des élèves de maternelle en difficultés d’apprentissage, le Comité Scientifique de la Fédération Française des Dys, composé de chercheurs, de scientifiques, de professionnels de santé et de l’enseignement, souhaite livrer son point de vue.

Le repérage des enfants en difficultés d’apprentissage dans le but de leur offrir une pédagogie adaptée est une idée qui n’est ni nouvelle, ni partisane. Une telle mesure a été demandée de longue date par les associations de parents d’élèves, avec le soutien des professionnels de santé et des chercheurs spécialistes du domaine. Elle a été portée officiellement pour la première fois en 2000 par le rapport Ringard sur l’enfant dysphasique et l’enfant dyslexique, commandé par Ségolène Royal puis rendu public par Jack Lang. Elle a ensuite été reprise dans le plan d’action Véber-Ringard qui a suivi en 2001 à l’initiative conjointe des ministères de l’Education Nationale et de la Santé, et finalement concrétisée par la circulaire du 7 février 2002 sur la « Mise en oeuvre d'un plan d'action pour les enfants atteints d'un trouble spécifique du langage oral et écrit ». Ces préconisations ont été reprises dans l’Expertise collective « Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie » publiée par l’Inserm en 2007, et sont restées la préoccupation constante des associations de parents.

Le repérage dont il est question, n’a pas pour but ni pour effet secondaire d’enfermer les enfants dans des catégories stigmatisantes. Bien au contraire, l’intention est d’offrir à tous les enfants une pédagogie adaptée qui permette de prévenir l’installation de véritables troubles des apprentissages. Pour cela, le ministère a demandé à des chercheurs compétents de composer d’une part des outils de repérage, d’autre part des outils pédagogiques, qui puissent être mis à la disposition des enseignants pour mener à bien cette politique de prévention. Contrairement aux évaluations nationales obligatoires, qui ont des justifications et des destinataires différents, ce projet a donc été conçu entièrement au service des enseignants, afin de les aider à repérer par eux-mêmes les élèves ayant des besoins particuliers, et de les aider à mettre en œuvre des mesures adaptées. Libre aux enseignants de se saisir de ces outils ou pas. Les données collectées à cette occasion ne sont pas censées sortir de la classe. Même les appellations « à risque » et « à haut risque » qui ont déclenché tant de controverses n’ont aucune raison d’être interprétées comme des prophéties auto-réalisatrices, leur seule fonction est d’alerter les enseignants. Un risque n’est pas une fatalité, il peut être évité. Encore faut-il se donner les moyens de l’identifier et de prévenir les conditions de sa réalisation. C’est justement tout l’intérêt du repérage et des outils pédagogiques proposés.

En effet cette initiative est basée notamment sur des recherches en sciences de l’éducation, réalisés initialement aux Etats-Unis par plusieurs équipes indépendantes, et plus récemment reproduites dans l’académie de Grenoble. Ces travaux ont montré qu’un repérage précoce des enfants en difficulté d’apprentissage, suivi de pédagogies adaptées aux besoins spécifiques de ces enfants, effectuées par les enseignants eux-mêmes, en petits groupes à besoins similaires, permet à une bonne partie de ces enfants de rattraper en quelques mois le niveau attendu pour leur classe. Il permet également d’identifier les enfants qui, résistant à cette approche exclusivement pédagogique, devront bénéficier de bilans à visée diagnostique, et éventuellement de l’entrée dans un parcours de soins.

Ce que l’on peut regretter, ce n’est pas que cette initiative soit prise, mais qu’elle soit prise seulement maintenant. Même si elle intervient dans un contexte politique et relationnel compliqué entre le Ministère de l’Education Nationale, les professionnels de l’enseignement et une partie des usagers du service public, il importe que ce projet soit jugé sur ses qualités propres, plutôt que sur la base de considérations plus politiques. Il serait catastrophique pour les enfants en difficultés d’apprentissage qu’une mesure aussi utile et attendue ne puisse voir le jour.

Le comité scientifique constate en outre que, comme c’est trop souvent le cas, une série de concertations a été amorcée avec toutes les parties prenantes, syndicats enseignants et associations de parents après l’annonce du projet par le ministère et après un tollé médiatique. C’est malgré tout une opportunité importante à saisir par tous les acteurs pour rectifier le démarrage désastreux de ce débat. La bonne volonté et la sincérité de chacun sera jugée à sa capacité à faire prévaloir le véritable intérêt des enfants et des enseignants.

Franck Ramus, directeur de recherches au CNRS
Comité scientifique de la Fédération Française des Dys.

Article paru dans Libération, le 9/12/2011, à côté d'un article de Philippe Meirieu présentant le point de vue opposé.

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