Cher Monsieur,
Je dois avouer que je suis un peu partagé à l'idée de rejoindre le comité scientifique de XXXX, car je ne partage que partiellement les objectifs de la revue. Je vais tenter de vous expliquer mon point de vue.
Pour moi il est important d'avoir des revues en langue française qui diffusent sous une forme adéquate les principaux résultats de la recherche vers les professionnels francophones. Cette mission est importante et XXXX y répond assez bien. En revanche je ne crois pas qu'XXXX doive prétendre être une véritable revue scientifique.
En l'occurrence je considère que la notion même de revue scientifique en français est une aberration. On peut certes déplorer la perte d'influence du français dans la communication scientifique. Néanmoins, quoi qu'on puisse en penser, les faits sont là. Un chercheur qui a des résultats utiles à l'avancement de la science doit impérativement les publier en anglais. S'il ne les publie qu'en français, il ne seront portés à la connaissance que de 2% des scientifiques du monde, et par conséquent ils sont condamnés à rester dans les oubliettes de la science. La conclusion, malheureuse peut-être, est qu'il n'y a pas de revue scientifique digne de ce nom dans d'autres langues que l'anglais. Et j'ajoute que par conséquent il ne faut surtout pas inciter les chercheurs français à publier leurs travaux originaux dans des revues françaises (ce qui est souvent la solution de facilité pour eux), car c'est la garantie que leurs travaux n'auront aucun impact sur l'évolution des connaissances.
Vu sous cet angle, on peut reprocher à XXXX (comme à bien d'autres revues françaises), d'entretenir la confusion entre revues scientifiques et revues professionnelles ou revues de vulgarisation, à la fois dans l'esprit des auteurs et dans l'esprit des lecteurs. Il en résulte, du côté des auteurs, l'illusion que leurs travaux originaux sont publiés dans une revue scientifique et contribuent à la science, alors que ce n'est pas le cas, et du côté des lecteurs, l'illusion que certains travaux rapportés dans XXXX sont validés scientifiquement, alors qu'ils ont été soumis à une expertise d'une exigence bien moindre que celle des revues internationales. Pour vous donner un exemple récent, je suis atterré que M. YYYY ait pu, à l'occasion d'un numéro spécial sur ZZZZ, publier dans XXXX un article rapportant ses observations informelles et ses spéculations sur QQQQ, et qu'il s'en serve aujourd'hui pour inonder médias et ministères de ses résultats "validés scientifiquement".
Que devraient donc faire XXXX et les autres revues francophones? Selon moi:
- abandonner toute prétention à être une revue scientifique, à publier des résultats scientifiques originaux, à expertiser les articles selon les standards des revues internationales. Refuser même d'examiner les articles présentant des résultats originaux, au motif qu'ils doivent être soumis à une revue scientifique internationale (donc en anglais).
- se recentrer sur sa mission de diffusion des connaissances vers le public francophone, en l'occurrence un public constitué principalement de professionnels de santé pour qui une information scientifique de qualité est vitale.
- que les articles soient rédigés explicitement à l'intention des professionnels, et non des seuls scientifiques. Cela implique de vulgariser un minimum, d'éviter le jargon, de définir les termes techniques nécessaires, etc.
- que les articles ne rapportent que des résultats déjà publiés dans la littérature scientifique internationale (avec références à l'appui), de manière à garantir que la connaissance ainsi diffusée soit validée scientifiquement. Refuser systématiquement toute spéculation et tout résultat original qui ne pourrait être justifié par une référence internationale.
Par conséquent, si XXXX tient à maintenir son statut ambigu entre revue scientifique et revue professionnelle, je ne tiens pas à contribuer à perpétuer cette situation, en donnant un vernis scientifique à une revue qui selon moi ne devrait pas le revendiquer. En revanche, si vous êtes sensible à mes arguments, et que vous souhaitez faire évoluer la revue dans la direction que j'indique, alors je suis tout prêt à vous y aider.
Bien cordialement,
Franck Ramus
Réponse de l'éditeur
(publiée ici avec son aimable autorisation)Cher Collègue,
Merci pour ce
commentaires qui a le mérite de la clarté et qui interroge avec
franchise le rôle des publications scientifiques françaises. Je suis d'accord avec vous sur plusieurs points, mais pas tous...
Il
est vrai que les publications scientifiques de haut niveau doivent
l'être dans des revues indexées qui sont toutes en anglais. C'est la
garantie d'être évalué de manière rigoureuse, d'être lu
internationalement et de figurer dans les bases de données
bibliométriques. C'est la recommandation que je donne à tous mes
chercheurs. Toutefois, même entre les revues internationales,
il existe une hiérarchie. Elle dépend de leur Impact factor, mais aussi
de leur degré d'exigence (degré d'originalité, multiplicité des études
présentées...). Certaines revues indexées en anglais ne sont pas d'un
niveau scientifique plus élevé que des journaux français.
Je reste persuadé qu'il existe
une place pour des publications scientifiques originales en français.
Elle concerne principalement les études appliquées comme le
développement et la validation d'outils de mesure, les interventions
thérapeutiques... Souvent ces études portent sur des outils et des
méthodes développés en français. Des articles de cette nature ne peuvent
pas être publiés en anglais. Mais, en français, ces études doivent
présenter toutes les garanties scientifiques nécessaires. Par ailleurs,
la science n'est pas qu'expérimentale. Des études épidémiologiques
françaises, des méta-analyses... sont aussi des travaux scientifiques
qui peuvent trouver place dans des revues françaises. Bref, je défends
l'existence de revues scientifiques françaises qui s'adressent aux
chercheurs comme aux praticiens. Les articles qui y sont publiés ne
visent pas une renommée internationale , ni un impact factor. Ils visent
à communiquer de manière rigoureuse le fruit de recherches plus locales
et plus appliquées. Je suis persuadé que nombre de ces articles ont un
impact sur les pratiques non négligeable. Par contraste, un grand nombre
d'articles publiés dans des revues internationales ont un impact factor
= 0, comme vous le savez...
XXXX
Je vous remercie pour votre réponse. Nous sommes d'accord sur bien des points, j'ajoute quelques commentaires supplémentaires ci-dessous.
Pour tenir compte de vos remarques et de l'existence de cette niche, je suggèrerais alors d'avoir dans XXXX deux sections bien distinctes, la première de taille réduite pour les articles scientifiques de qualité mais d'intérêt local, la seconde, prédominante, pour les articles de transfert des connaissances vers les professionnels. Les deux sections devraient alors faire l'objet de définitions très claires, avec une explicitation des exigences (différentes) affichées pour l'expertise des deux types d'articles. Quant aux descriptions de cas purement cliniques, elles ne rentrent dans aucune des deux catégories et je ne suis pas sûr qu'il faille leur en ouvrir une dédiée.
Cordialement,
Franck Ramus
XXXX
Ma réponse
Cher collègue,Je vous remercie pour votre réponse. Nous sommes d'accord sur bien des points, j'ajoute quelques commentaires supplémentaires ci-dessous.
Toutefois, même entre les revues internationales, il existe uneVous avez tout à fait raison. Ceci dit, ce qui me paraît essentiel dans les revues anglophones, plus que leur niveau scientifique présumé (parfois à tort) supérieur à celui des revues dans d'autres langues, c'est qu'elles sont lisibles par 100% des chercheurs du monde. Il m'arrive aussi de produire des travaux dont l'importance est clairement limitée, mais qui ont le mérite d'exister, et qui doivent être publiés, ne serait-ce que parce qu'un jour quelqu'un pourrait avoir l'idée de refaire une expérience similaire, ou pourrait vouloir faire une méta-analyse, et il serait dans ce cas important qu'il puisse prendre connaissance de mes données. Pour cela il suffit qu'elles soient publiées dans n'importe quelle revue anglophone correctement indexée, quel que soit son niveau d'exigence. Dans une revue non anglophone, je crains bien que mes données ne passent totalement inaperçues et donc ne contribuent pas du tout à la Science.
hiérarchie. Elle dépend de leur Impact factor, mais aussi de leur degré
d'exigence (degré d'originalité, multiplicité des études présentées...).
Certaines revues indexées en anglais ne sont pas d'un niveau
scientifique plus élevé que des journaux français.
Je reste persuadé qu'il existe une place pour des publicationsJe suis aussi d'accord avec vous sur l'existence de cette "niche" pour des articles scientifiques en français d'intérêt local. Mais je pense que cette niche est en fait très restreinte. La littérature internationale a aussi besoin de savoir ce qui se passe dans d'autres langues que l'anglais (dans le domaine de la lecture et de la dyslexie, la prédominance des travaux portant sur l'anglais est une préoccupation majeure). Beaucoup de travaux portant sur des outils ou des interventions en français pourraient et devraient être publiés dans des revues internationales. De tous les articles de type scientifique et d'une certaine qualité publiés actuellement dans les revues francophones, il me semble que seuls une petite minorité sont d'intérêt suffisamment local pour ne pas devoir être publiés en anglais.
scientifiques originales en français. Elle concerne principalement les
études appliquées comme le développement et la validation d'outils de
mesure, les interventions thérapeutiques... Souvent ces études portent
sur des outils et des méthodes développés en français. Des articles de
cette nature ne peuvent pas être publiés en anglais.
Pour tenir compte de vos remarques et de l'existence de cette niche, je suggèrerais alors d'avoir dans XXXX deux sections bien distinctes, la première de taille réduite pour les articles scientifiques de qualité mais d'intérêt local, la seconde, prédominante, pour les articles de transfert des connaissances vers les professionnels. Les deux sections devraient alors faire l'objet de définitions très claires, avec une explicitation des exigences (différentes) affichées pour l'expertise des deux types d'articles. Quant aux descriptions de cas purement cliniques, elles ne rentrent dans aucune des deux catégories et je ne suis pas sûr qu'il faille leur en ouvrir une dédiée.
Cordialement,
Franck Ramus
Je trouve votre message très négatif. Vous avez une vision particulièrement pas du tout ambitieuse pour les revues français. Et je ne comprends pas d'ailleurs en quoi cela est une recherche de facilité pour un chercheur français que de publier dans une revue français ? Quel raisonnement avez-vous pour aboutir à ce propos ? J'ai vraiment du mal à comprendre pourquoi vous voulez à ce point que les revues françaises se limitent. Ou est-ce vous trouvez ce chiffre de 2% ? Pourquoi pour vous la notion même de revue scientifique française est une aberration ? Vous écrivez que les faits sont là ! En effet on comprend pourquoi en France il y a tant de scientifiques qui écrivent en anglais. Vous faites preuve d'un grand conformisme et vos raisonnement sont franchement pédant. Je vais vous dire le fond de ma pensée : ce n'est pas avec ce type de raisonnement que vous risquez de marquer l'histoire des sciences cognitives. Je vous trouve même sectaire. Car vous refusez qu'il puisse existez des revues scientifiques en français de haut niveau.
RépondreSupprimerSur le chiffre de 2%, il s'agit simplement d'une estimation du nombre de locuteurs du français dans le monde.
SupprimerMême en prenant les chiffres délibérément exagérés du Haut Conseil de la Francophonie, on atteint à peine 300 millions de personnes ayant une maîtrise minimale du français, soit moins de 5% de la population mondiale:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Distribution_des_francophones_dans_le_monde#Statistiques.
D'autres estimations sont plus conservatrices:
http://verite-nombre-de-francophones-dans-le-monde.skynetblogs.be/
Peu importe, 5% convient tout aussi bien à mon propos.
Vous avez beau dénigrer, je ne lis dans votre commentaire aucun argument allant à l'encontre des miens. Evidemment rien n'empêche de publier des travaux scientifiques de haut niveau dans une revue francophone, mais à quoi cela peut-il bien servir de les publier sur un support qui restera invisible de 95% des chercheurs du domaine? La science est une construction internationale (que dis-je, universelle), les travaux que l'on soustrait à la connaissance et à l'expertise de quasiment tous les autres chercheurs ne peuvent y contribuer. Ou alors expliquez-nous par quel moyen ces revues francophones apportent malgré tout une contribution.
Et les chercheurs le savent bien, et ils ne se font guère d'illusions sur l'impact scientifique de ce qu'ils publient en français. Certains publient en français parce que c'est effectivement beaucoup plus facile d'écrire bien dans sa langue maternelle, et parce que le niveau d'expertise par les pairs est bien moindre dans les revues francophones (de même que dans les revues chinoises, ce n'est pas une particularité du français).