Dans l'autisme, tout ne marche pas, même si on met le paquet



Dans Libération du 14/02/2012, Bernard Golse affirmait: "Dans l'autisme, rien n'est validé, tout marche si on met le paquet, c'est l'intensité de la prise en charge qui compte". Dans mes questions à Bernard Golse du 17/02/2012 (qui n'ont jamais reçu de réponse), je l'interpellais particulièrement sur la 1ère partie de l'affirmation selon laquelle rien n'est validé.

Il se trouve qu'une étude récente permet également de discuter la 2ème partie de son affirmation selon laquelle " tout marche si on met le paquet, c'est l'intensité de la prise en charge qui compte". Il s'agit de l'étude suivante de Darrou et coll. (2010). Cette étude française, coordonnée par l'équipe d'Amaria Baghdadli à Montpellier, dresse un tableau édifiant des résultats de la prise en charge de "psychothérapie institutionnelle" proposée à la plupart des enfants autistes en France (ainsi qu'en Belgique, Suisse et Luxembourg francophones).

Le premier résultat de cette étude, c'est de mettre en évidence les progrès extrêmement limités que permettent ces prises en charge. En effet, l'âge de développement de ces enfants (mesuré par la Vineland Adaptive Behavior Scale, échelles communication et daily-living skills) a progressé de 12 à 13 mois en moyenne sur la période de 40 mois sur laquelle s'est déroulé le suivi. Au lieu de 40 mois, si ces enfants suivaient une trajectoire développementale normale (sans même parler de rattraper leur retard). Autrement dit, les capacités de communication et d’adaptation de ces enfants ne progressent que de 4 mois en moyenne par année de prise en charge, ce qui est très peu, et surtout bien en-deçà de ce que permettent les interventions comportementales et éducatives passées en revue par la HAS.

En effet, si l’on regarde les résultats d’un essai clinique américain (Howard et coll. 2005) ayant suivi la progression de différents groupes d’enfants autistes sur les mêmes échelles de développement en fonction du type d’intervention qu’ils recevaient, les enfants qui suivaient une prise en charge comportementale intensive (une variante d’ABA) progressaient de 11 à 17 mois par an, ceux qui suivaient un programme comportemental éclectique (empruntant des éléments d’ABA, de TEACCH et de PECS) progressaient de 6 à 9 mois par an, et le groupe contrôle qui était juste scolarisé dans une école spécialisée pour enfants handicapés progressait de 5 à 10 mois par an. Autrement dit, les enfants autistes pris en charge en France progressent 3 fois moins en moyenne que les enfants américains suivant un programme ABA, et même un peu moins que le groupe contrôle ! Ce qui suggère que le système éducatif américain tout-venant, même lorsqu’il n’implémente pas des programmes spécifiquement dédiés à l’autisme, met en œuvre des pratiques qui sont au moins aussi efficaces que celles de nos brillantes institutions françaises pratiquant la "psychothérapie institutionnelle" "intégrative" et "multidisciplinaire".

Certes, les enfants participant à l’étude de Darrou et coll. (2010) ont été recrutés dans 51 unités différentes ayant sans doute une grande diversité de pratiques, qui n'ont pas été décrites dans l'étude. Il n'est donc pas possible d'attribuer ces mauvais résultats à une pratique thérapeutique unique bien identifiée. Mais étant donné la taille de la cohorte (208 enfants) et le nombre de centres impliqués, cette étude montre de manière claire que les pratiques ayant cours dans un ensemble représentatif d'institutions prenant en charge les enfants autistes en France ont des effets d'une médiocrité accablante.

Deuxième résultat de cette étude: les facteurs prédisant l'évolution (plus ou moins mauvaise) des enfants entre le début et la fin du suivi incluent la sévérité de l'autisme (la plus grande sévérité prédisant une évolution moins bonne) et le niveau de langage (un plus haut niveau de langage prédisant une évolution meilleure). A la surprise des auteurs, l'intensité de la prise en charge ne s'est révélée avoir aucune influence sur l'évolution des enfants! Pourtant, cette intensité était conséquente, puisque la médiane se situait à 30 heures par semaine, avec une grande variabilité selon les enfants.
La conclusion, c'est que, n'en déplaise à M. Golse, lorsque les pratiques thérapeutiques sont médiocres, cela ne marche pas, même si on met le paquet.

Références

Darrou, C., Pry, R., Pernon, E., Michelon, C., Aussilloux, C., & Baghdadli, A. (2010). Outcome of young children with autism. Autism, 14(6), 663-677. doi: 10.1177/1362361310374156
Howard, J. S., Sparkman, C. R., Cohen, H. G., Green, G., & Stanislaw, H. (2005). A comparison of intensive behavior analytic and eclectic treatments for young children with autism. Research in Developmental Disabilities, 26(4), 359-383. doi: DOI 10.1016/j.ridd.2004.09.005

Addendum du 18/04/2013

J'ajoute la figure extraite de ma conférence du 6/04/2013, qui illustre les progrès réalisés en 12 mois sur la VABS-communication par les enfants de l'étude de Darrou et al., les trois groupes de Howard et al., et les enfants au développement normal (qui constituent la norme).



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