lundi 30 septembre 2013

Réponse à l’éditorial de Bernard Golse dans le Journal International de Médecine

Texte soumis le 15/09/2013 et publié comme éditorial par le Journal International de Médecine le 19/10/2013, en réponse à l'éditorial publié par ce même journal le 14/09/2013.

Dans son éditorial du 14 septembre 2013 dans le Journal International de Médecine, M. Golse commence par regretter que l’année 2012 ait été « une authentique catastrophe à l’égard de la psychanalyse ». Se faisant, il révèle sa préoccupation première, à savoir la survie de la psychanalyse, bien plus que le sort des enfants autistes. Pourtant, si la psychanalyse est sur le déclin en France, il est difficile de l’imputer à la grande cause nationale 2012, à un lobbying malveillant ou à une ministre trop zélée. En France, comme partout ailleurs dans le monde auparavant, la psychanalyse décline du fait de son absence d’efficacité prouvée, et de son incapacité chronique à produire des données factuelles à l’appui de la validité de ses théories et de ses pratiques. L’année 2012 consacrée à l’autisme n’en a été que le révélateur pour beaucoup de citoyens et pour les pouvoirs publics.

M. Golse dénonce des enjeux commerciaux : « certaines méthodes éducatives préfèrent bien sûr se vendre à une famille sur 150 plutôt qu’à une famille sur 3 ou 5000 ». S’il est vrai qu’aux USA on peut observer des dérives commerciales autour de l’ABA, rien n’oblige à reproduire ce modèle en France. Les interventions efficaces peuvent et doivent être implémentées dans des institutions publiques sur financement public. Dans les faits, les familles françaises qui souhaitent avoir recours à ces méthodes pour leur enfant peinent à trouver une offre en réponse à leur demande. Elles en sont souvent réduites à s’expatrier (en Belgique, en Suède ou aux USA), à créer des associations pour former et recruter des professionnels répondant à leur besoin, ou à se former à ces méthodes pour prendre en charge elles-mêmes leur enfant. La réalité du terrain est aux antipodes de l’inondation agressive du marché suggérée par M. Golse. De fait, s’il y a des intérêts financiers en jeu, c’est plutôt du côté du public qu’il faut regarder. La prise en charge d’un enfant autiste coûte 600 à 1000€/jour en hôpital de jour, 180 à 300€/jour en institut médico-éducatif, bien plus que les méthodes qualifiées de « commerciales » par M. Golse, et a fortiori que l’inclusion d’un enfant à l’école avec une auxiliaire de vie scolaire. Ces sommes sont payées avec une docilité étonnante par la Sécurité Sociale, bien que l'efficacité de ces prises en charges soit totalement inconnue car jamais évaluée[1]. Des milliers de professionnels vivent ainsi de l’autisme via les financements et les remboursements accordés à leurs employeurs par l’Etat et la Sécurité Sociale. Voilà un conflit d’intérêt que M. Golse se garde bien de déclarer.

En allant présenter son livre à différents interlocuteurs politiques et administratifs, M. Golse dit avoir « eu la faiblesse de croire que le vent avait tourné ». Effectivement, le vent a tourné, mais pas dans le sens attendu. Aujourd’hui, il ne suffit plus d’écrire un livre pour le grand public français pour s’auto-proclamer « expert » et pour être pris au sérieux par les pouvoirs publics. Dans les domaines pointus de la recherche médicale et scientifique, l’expertise ne s’établit que par les publications dans les revues internationales. Les experts français de l’autisme se nomment Catherine Barthélémy (104 articles sur l’autisme, h-index[2]= 40)[3], Marion Leboyer (94 articles, h= 53), Gilbert Lelord (55 articles, h=25), Catalina Betancur (53 articles, h= 33), Thomas Bourgeron (50 articles, h= 31), Joelle Martineau (51 articles, h=21), Richard Delorme (33 articles, h=21), Jean-Louis Adrien (32 articles, h= 14), pas Bernard Golse (7 articles[4], h= 9).

M. Golse réitère son affirmation selon laquelle la prévalence de l’autisme est très faible (1 cas sur 5 ou 10000[5], contre 1 cas sur 160 selon les dernières études internationales[6]), affirmation qui repose sur une classification nosologique idiosyncrasique reconnue exclusivement par les pédopsychiatres psychanalystes français[7][8], et qui ignore toutes les données épidémiologiques, génétiques, cérébrales et cognitives collectées sur les troubles du spectre autistique sur les vingt dernières années.

M. Golse affirme que « même en Amérique du Nord, les professionnels commencent à se défier du tout éducatif qui ne peut être qu’une impasse ». On aurait aimé quelques références à l’appui de cette affirmation. Car si personne ne croit que les interventions éducatives recommandées pour les enfants autistes font des miracles ou marchent pour 100% des enfants, il ne semble pas que les psychiatres nord-américains envisagent pour autant d’embrasser la psychothérapie institutionnelle à la française, basée sur l’observation et l’interprétation freudo-lacanienne des comportements « singuliers » des enfants autistes, ou encore sur les notions de « moi-peau », « d’enveloppe psychique », de « contenance » et sur des pratiques telles que le packing[9] ou la « pataugeoire thérapeutique ».

De même, lorsque M. Golse affirme caricaturalement « Tous les jours, des parents viennent nous trouver en nous disant leurs déceptions face aux méthodes éducatives employées de manière forcenée et exclusive », quelques témoignages authentifiables auraient été les bienvenus. Car à ce jour, une seule association (« la main à l’oreille »), représentant essentiellement une seule personne (sa présidente Mme Mireille Battut) défend publiquement la prise en charge psychanalytique de l’autisme et rejette les approches comportementales, quand plus de 10000 familles réunies au sein du collectif Autisme demandent exactement le contraire, et quand plus de 13000 personnes ont signé la pétition pour défendre les orientations du 3ème plan autisme et les recommandations de la HAS.


Le Journal International de Médecine se destine « à tous les praticiens pour qui la science ne s'arrête pas aux frontières de la France ». Un tel éditorial, en promouvant l’idée que la science doive s’arrêter aux frontières de la pédopsychiatrie française, n’est-il pas contraire aux objectifs affichés du journal ?


Franck Ramus, directeur de recherches au CNRS.

[1] Néanmoins les maigres données disponibles suggèrent que les bénéfices de ces approches de « psychothérapie institutionnelle » pour les enfants autistes sont très faibles. Cf. Ramus, 2012, Dans l’autisme, tout ne marche pas, même si on met le paquet.
[2] Le h-index est une mesure composite de la production et de l’influence d’un chercheur. Un h-index de 50 indique que la personne a publié 50 articles qui ont été cités au moins 50 fois.
[3] Recherche bibliographique réalisée sur la base de données ISI Web of Science. Nombre d’articles sur l’autisme publiés dans les revues internationales : Topic=(autis*) AND Language=(English) AND Address=(France) ; stratification par auteur en utilisant la fonction Refine results. H-index déterminé par auteur (tous articles confondus) avec la fonction Citation report.
[4] Dont 2 en dernier auteur et 0 en premier auteur.
[6] Organisation Mondiale de la Santé. (2013). Mesures globales et coordonnées pour la prise en charge des troubles du spectre autistique (Vol. EB133/4). Genève: Organisation Mondiale de la Santé.
[7] Classification française des troubles mentaux de l'enfant etde l'adolescent - R2012. Correspondances et transcodage - CIM10 - 5e édition. Roger Misès (dir.). Presses de l'EHESP. 2012 / 15 x 23 / 128 p. / 978-2-8109-0082-4.
[8] Cf. Ramus, 2012, Peut-il y avoir une exception française en médecine? Lemonde.fr, 26/09/2012.
[9] Amaral, D., Rogers, S. J., Baron-Cohen, S., Bourgeron, T., Caffo, E., Fombonne, E., . . . van der Gaag, R. J. (2011). Against le packing: a consensus statement. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry, 50(2), 191-192. doi: 10.1016/j.jaac.2010.11.018

6 commentaires:

  1. On peut trouver le texte intégral de l'éditorial de Bernard Golse en suivant ce lien:
    http://psychoblogue.over-blog.com/plan-autisme-la-raison-n%E2%80%99est-pas-au-rendez-vous

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    1. Sans compter que l'apport de Simone Weil à l'autisme est considérable, elle est décédée avant même les découvertes de Kanner... C'est curieux, on trouve plein de trace de ce papier que personne n'a donc relu, y compris sur Médiapart.

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    2. Confusion entre Simone Weil, la philosophe et résistante morte en 1943, et Simone Veil, la ministre de la santé qui est effectivement à l'origine des premières avancées au niveau politique???

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  2. Pour ceux qui préfèrent la parodie, je signale la version de Jean-Marie de Lacan:
    http://jyaimedesailes.wordpress.com/2013/09/15/plan-autisme-la-foi-nest-pas-au-rendez-nous/

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  3. tout simplement grandiose !! moi je connais ce monsieur , qui a réfuter l hyperactivité de mon fils, en le prétendant dépressif ,a encenser l atelier journal du cmp ou était mon fils , alors que celui ci est aussi dyspraxique , conduisant par son incompétence mon fils dans les griffes de l aide social a l enfance , mon fils devant être placé dans un internat éducatif ........ merci bernard !!!

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  4. Réponse en édito c'est super ! Remarque qu'au passage le patronyme a gagné un S, Franck RASMUS. Avec un prénom comme Etienne ou Eric, j'aurais compris l'intention de la personne qui présente l'édito. Elle n'aura pas résisté à l'envie de faire un bon mot E. Rasmus; c'est plutot rigolo! Mais en l'occurrence ; F Rasmus, je ne vois pas trop ! Etourderie sans doute ! La même qui a permis à B.G. de se faire passer pour ce qu'il n'est pas : un "spécialiste de l'autisme" . Il est tout au plus un des spécialistes français de la vaine utilisation de la psychanalyse pour l'autisme, ce qui n'a pas plus d'intérêt que d'être le plus grand collectionneur français de canettes sans fond ni couvercle !

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