Que Choisir
Courrier des lecteurs
233 boulevard
Voltaire
75011 Paris
25 octobre 2012
Madame/Monsieur,
Adhérent et
lecteur fidèle de Que Choisir, j'apprécie particulièrement vos analyses
rigoureuses sur les questions de santé, comme votre récent dossier sur le
dépistage du cancer du sein, solidement argumenté sur la base d'essais
cliniques et de méta-analyses publiés dans les revues internationales
expertisées par les pairs. Je suis donc d'autant plus déçu de constater que
vous ne procédez pas avec la même rigueur en ce qui concerne la santé mentale.
Pour prendre
comme exemple votre dernier article sur le sujet dans Que Choisir Argent
d'octobre 2012, au côté de constatations tout à fait bienvenues sur
l'inadéquation de l'offre de soins en santé mentale, vous affirmez "L'efficacité
de la psychanalyse ou des techniques comportementales ne fait pas débat"
(p. 55). Mais où avez-vous donc été pendant ces 30 dernières années, et à
quelles revues scientifiques et médicales y avez-vous eu accès? Comment
pouvez-vous ignorer que l'efficacité de la psychanalyse fait justement débat,
et que cette approche psychothérapique est devenue marginale partout dans le
monde sauf en France? Comment pouvez-vous ignorer ou passer sous silence les
dizaines d'essais cliniques contrôlés, dûment publiés dans les revues
scientifiques internationales et méta-analysés, qui montrent que pour la
quasi-totalité des troubles mentaux, l'efficacité des psychothérapies
psychanalytiques et psychodynamiques n'est guère supérieure au placebo, et que
celle des thérapies cognitives et comportementales leur est significativement
supérieure? Par ailleurs, vous notez à juste titre la surconsommation de
psychotropes en France, au détriment des psychothérapies. Mais comment
pouvez-vous passer sous silence que c'est précisément parce que l'offre de
soins en psychothérapies est inondée par des approches thérapeutiques
inefficaces que les médecins généralistes et les patients n'ont guère d'autre
recours que la pharmacothérapie?
Au-delà de la
discussion de fond que l'on peut avoir sur l'efficacité respective des
différentes formes de psychothérapie, quelle cohérence y a-t-il à ce que dans
le domaine de la santé somatique, la revue Que Choisir adopte sans réserve
l'approche de la médecine fondée sur des preuves, en basant toutes ses analyses
sur les résultats des essais cliniques et de leurs méta-analyses publiées dans
les revues scientifiques internationales, et que dans le domaine de la santé
mentale la même revue publie des articles ignorant totalement et passant sous
silence tous les résultats des essais cliniques et de leurs méta-analyses
publiées dans les mêmes revues scientifiques internationales? Comment un double
standard aussi flagrant peut-il être justifié? La psychiatrie et la psychologie
doivent, elles aussi, être fondées sur des preuves, et la revue Que Choisir
s'honorerait et ferait considérablement progresser la santé mentale en France
en en faisant son cheval de bataille.
Bien
cordialement,
Franck Ramus
Directeur de recherches au CNRS
Directeur de recherches au CNRS
Pour plus d'informations:
KOllectif du 7
janvier pour une psychiatrie et une psychologie fondées sur des preuves: http://kollectifdu7janvier.org/
Expertise collective de l'Inserm. (2004).
Psychothérapie - Trois approches évaluées. Paris: Editions INSERM.
Téléchargeable sur
http://www.inserm.fr/content/download/7356/56523/version/1/file/psychotherapie%5B1%5D.pdf.
Dernière méta-analyse en date:
Smit, Y., Huibers, M. J., Ioannidis, J. P., van Dyck, R., van Tilburg, W., & Arntz, A. (2012). The effectiveness of long-term psychoanalytic psychotherapy--a meta-analysis of randomized controlled trials. Clin Psychol Rev, 32(2), 81-92. doi: 10.1016/j.cpr.2011.11.003
Dernière méta-analyse en date:
Smit, Y., Huibers, M. J., Ioannidis, J. P., van Dyck, R., van Tilburg, W., & Arntz, A. (2012). The effectiveness of long-term psychoanalytic psychotherapy--a meta-analysis of randomized controlled trials. Clin Psychol Rev, 32(2), 81-92. doi: 10.1016/j.cpr.2011.11.003
Je me joins à vous dans la critique de la psychanalyse. Non seulement son efficacité fait débat, mais de plus la placer dans le domaine de la santé et de la science est contestable, les tenants et méthodes relevant plus du domaine ésotérique ou religieux (encore qu'une telle classification de la psychanalyse pourrait être insultante pour les religions qui ont suffisamment d'intégrité pour reconnaître se fonder sur la foi).
RépondreSupprimerLà où peut-être j'aurais personnellement eu plus de réserve que dans votre lettre, c'est sur la promotion d'une efficacité exagérée des traitements cognitifs ou comportementaux. Ils montrent une efficacité indiscutable dans des domaines précis, et progressent suivant un processus scientifique ce qui les distinguent de la psychanalyse. Mais ils sont loin d'être pour l'instant beaucoup plus efficaces que le placebo sur "la quasi-totalité des troubles mentaux": dans de très nombreux troubles, la différence "significative" avec le placebo est souvent une différence statistiquement significative qui n'a qu'une importance modérée pour le patient (et il a été montré que les résultats obtenus dans les essais de ces thérapies comportent des biais positifs, par des observations du style "traitement-A > traitement-B > traitement-C > traitement-A" suivant le commanditaire de l'étude).
Pour une majorité des troubles mentaux adultes (je connais moins les troubles du développement), l'humilité vis-à-vis du traitement devrait être la règle, l'effet placebo ou non-spécifique constituant pour l'instant souvent le gros de l'effet (que ce soit pour les médicaments ou les thérapies).