dimanche 3 janvier 2016

Le point sur l'approche posturologique pour la dyslexie

Régulièrement, à l'occasion de conférences publiques ou en privé, je suis interrogé par des parents d'enfants dyslexiques à propos de la méthode "posturale" de remédiation de la dyslexie. Ces parents, parfois désemparés par les difficultés scolaires de leurs enfants, et prêts à tout pour les aider, sont néanmoins souvent déconcertés par l'approche posturologique qui leur est parfois proposée et par les prétentions très étonnantes de ses promoteurs, tant cette méthode thérapeutique semble défier le bon sens et être sans lien direct avec les difficultés de lecture. Parce que je suis régulièrement interrogé sur le sujet depuis de nombreuses années, j'ai été amené à me pencher sur cette méthode et sur les travaux de recherche censés la valider, et j'ai donc un avis d'expert sur la question, basé à la fois sur ma connaissance des recherches scientifiques internationales sur la dyslexie, sur mes propres travaux, sur mon expérience personnelle avec les personnes dyslexiques, et sur la lecture de tous les travaux scientifiques publiés sur la posturologie. Je donne cet avis à chaque fois qu'on me le demande.

Ainsi, le 14 septembre 2015, sur France Inter, interrogé sur "une méthode pour aider les enfants "dys" qui consiste à mettre des lunettes à prismes et des semelles orthopédiques", j'ai assimilé cette méthode (dite "proprioceptive", aussi connue sous le nom de "posturologie") à de nombreuses autres méthodes "fantaisistes" et "miracles" couramment proposées (parfois à grands frais) aux familles d'enfants dyslexiques, alors même que ces méthodes n'ont aucun fondement scientifique.

Bien entendu, ces propos ne pouvaient laisser indifférents les partisans de cette méthode, qui ont réagi, en la personne du Dr Patrick Quercia, avec qui j'ai échangé par email, et du Dr Luc-Marie Virlet, qui a envoyé un courrier à France Inter avec copie à toutes les institutions concernées ou susceptibles de l'être. Comme cette lettre énonce un certain nombre d'arguments précis censés établir la crédibilité de la posturologie pour la dyslexie, je me vois obligé de saisir cette occasion pour faire le point sur le sujet et reprendre ces arguments un par un. La plupart de ces arguments étant assez faibles et n'intéressant que les récipiendaires de la lettre de M. Virlet, je relègue la réponse détaillée en annexe de cet article. Je présente ici en premier lieu ma réponse sur le fond de la question, c'est-à-dire mon analyse des recherches scientifiques publiées sur la posturologie de la dyslexie. Puis je développe une réponse détaillée aux différents arguments de la lettre de M. Virlet. Enfin je donne mes réponses aux arguments de M. Quercia. Mais pour les personnes qui n'auraient pas la patience de lire tous ces arguments en détail, voici le résumé.

Il faut reconnaître au Dr Quercia et à ses collaborateurs le mérite d'avoir effectué, pour la première fois, de véritables recherches sur le "syndrome de déficience posturalel" (SDP) dans la dyslexie, et de s'être efforcés de les publier pour la plupart dans des revues scientifiques internationales de plus ou moins bon niveau. Néanmoins, à l'heure actuelle, ces publications ne permettent de conclure ni 1) que tous les enfants dyslexiques (ni même une proportion importante) auraient un SDP, ni 2) qu'un SDP puisse être une cause de trouble de lecture, ne serait-ce que pour certains enfants, ni 3) que la remédiation posturologique améliore la lecture des enfants dyslexiques (ou au moins de ceux qui auraient un SDP). Les deux études qui potentiellement pourraient apporter les éléments les plus forts à l'appui de la posturologie sont celles qui souffrent des limites méthodologiques les plus importantes, et qui de ce fait n'ont pas passé le filtre de l'expertise internationale par les pairs. Les autres études apportent, pour certaines, des données sur l'équilibre ou l'attention visuelle dans la dyslexie qui ne sont pas inintéressantes, et qui sont souvent cohérentes avec bien d'autres données publiées. En revanche, elles n'apportent pas directement d'eau au moulin de la théorie du SDP ni du traitement associé.

EDIT du 7/01/2016 pour clarifier encore plus précisément ma position:
Dans l'émission sur France Inter, j'ai assimilé la posturologie à d'autres méthodes fantaisistes. Ce commentaire lapidaire fait en toute fin d'émission pourrait donner l'impression que j'ai un avis définitif sur la question et que le débat est clos. En vérité, je n'ai pas d'avis définitif sur la question. Tout ce que je dis, c'est que sur la base des données scientifiques publiées jusqu'à ce jour, il n'y a pas d'éléments probants à l'appui de cette approche, pas plus que pour bien d'autres approches qu'on peut qualifier de fantaisistes. Mais cette conclusion pourrait changer si de nouvelles données étaient publiées. Peut-être les promoteurs de la posturologie ont fait une grande découverte, et que leurs articles ne reflètent pas bien la nature de leurs résultats. Dans ce cas, j'aimerais beaucoup voir de nouvelles données permettant de comprendre les mécanismes reliant la proprioception à la lecture, et les raisons pour lesquelles la remédiation posturologique (à base de lunettes à prismes, de semelles compensées et d'exercices physiques) pourrait fonctionner. Et j'aimerais beaucoup voir un essai clinique conduit avec de plus grands effectifs et une méthodologie impeccable. Si les nouvelles données étaient vraiment convaincantes, je pourrais tout à fait changer d'avis.

Néanmoins, à l'heure actuelle, tout ce que l'on peut dire, c'est que les fondements scientifiques de la théorie posturale de la dyslexie restent très incertains. Par conséquent, s'il s'agit de faire des recommandations de santé publique, il n'existe donc aucun élément factuel solide qui permette de recommander aux familles de s'engager dans une telle voie.

Analyse des publications scientifiques sur la posturologie

M. Virlet écrit "Les travaux scientifiques sur le sujet ont donc déjà donné lieu à la publication d'articles, dans des revues scientifiques reconnues et pour certains mêmes dans des revues internationales, toutes à comité de lecture indépendant (...), ayant démontré la significativité de cette prise en charge ainsi que celles des mécanismes impliqués". Passons-les donc en revue.

Quercia, P., Seigneuric, A., Chariot, S., Vernet, P., Pozzo, T., Bron, A., . . . Robichon, F. (2005). Proprioception oculaire et dyslexie de développement. À propos de 60 observations cliniques. J Fr Ophtalmol, 28(7), 713-723.

Support de publication:

Je ne pense pas qu'on puisse qualifier le Journal Français d'Ophtalmologie de revue scientifique internationale. Il s'agit de "l'organe d'expression de la Société Française d'Ophtalmologie" dont le but principal est de permettre aux ophtalmologues français "d'actualiser [leurs] connaissances et de prendre connaissance des évolutions de [leur] spécialité". Un but tout à fait respectable, mais différent de celui consistant à diffuser des résultats scientifiques originaux destinés à faire progresser la connaissance universelle. C'est le rôle de revues scientifiques dédiées, fonctionnant de manière différente des revues professionnelles des médecins, et ces revues sont nécessairement publiées en anglais. (cf. mon article sur la publication scientifique si ce point nécessite éclaircissement). Bref, publier des travaux de recherche originaux dans cette revue revient à vouloir influencer la pratique des ophtalmologues français, tout en court-circuitant l'expertise scientifique internationale normalement indispensable pour publier des travaux originaux.

Synthèse de l'article:

60 enfants dyslexiques ont subi un examen clinique du syndrome de déficience posturale (SDP). Conclusion: "100% de ces enfants présentent des troubles proprioceptifs s'intégrant dans le cadre clinique du syndrome de déficience posturale."

Commentaire:

Il s'agit de la première étude sur la dyslexie que j'ai lue affirmant avoir démontré quelque chose sur 100% des enfants dyslexiques. Etant donnée l'hétérogénéité de ce trouble, ce que l'on observe n'est habituellement jamais présent chez tous les individus. Trouver un déficit particulier susceptible d'expliquer 100% des cas de dyslexie serait une découverte extraordinaire, qui par conséquent nécessiterait des preuves extraordinaires. Malheureusement on est loin du compte.
Les principales faiblesses de cet article sont 1) l'absence de groupe contrôle; 2) découlant du premier point, le fait que les investigateurs évaluant le SDP savaient que chaque enfant était dyslexique (protocole pas en aveugle); 3) des seuils diagnostiques pour chaque symptôme du SDP qui semblent arbitraires et parfois particulièrement laxistes; 4) les enfants ayant été recrutés à partir de consultations en ville, problablement chez des médecins partisans de la posturologie, un biais d'échantillonage n'est pas à exclure; 5) le diagnostic des enfants ne comportait pas de test de QI, ni de screening du TDAH ou de la dyspraxie, qui permettraient d'exclure des enfants faibles lecteurs présentant des facteurs confondants.
Pour donner un exemple, concernant la recherche d'un trouble de la convergence oculaire, l'article décrit pas moins de 9 signes pouvant indiquer un trouble de la convergence, dont 3 s'évaluant pour chaque oeil, donnant ainsi 12 chances à chaque enfant de montrer un trouble de la convergence. Dans ces conditions, comment interpréter le fait que 100% des 60 enfants examinés manifestent un trouble de la convergence? S'agit-il d'un résultat réel, ou d'une exagération due à des critères particulièrement laxistes? Le seul moyen de le savoir serait d'appliquer exactement la même procédure diagnostique à un groupe contrôle, de manière à vérifier si l'on ne trouve pas les mêmes symptômes à une prévalence aussi élevée chez des enfants non dyslexiques. Encore faudrait-il pour cela que les investigateurs en charge du diagnostic (du SDP) n'aient pas connaissance du groupe d'appartenance de chaque enfant, afin de ne pas risquer (consciemment ou inconsciemment) de considérer tout clignement d'oeil comme un signe anodin chez les contrôles et comme un symptôme significatif chez les dyslexiques.
On est d'autant plus en droit de se poser ces questions que lorsque d'autres études posent certaines des mêmes questions, elles n'obtiennent pas nécessairement les mêmes résultats. Ainsi, Craeven et coll. ont évalué les troubles ophtalmologiques (dont les troubes de convergence et d'accommodation) chez plus de 5000 enfants anglais. Ils ont trouvé des troubles de convergence chez 4% des dyslexiques et 5% des contrôles, des troubles d'accommodation chez 16% des dyslexiques et 13% des contrôles (différence non significative). Bien entendu l'étude de Craeven et coll. ne visait pas à répliquer celle de Quercia et coll., il y manque les autres symptômes du SDP. Néanmoins cette étude a le mérite de montrer que ce que Quercia et coll. appellent des troubles de la convergence, sans référence à des normes établies dans la population générale, doit être bien éloigné de ce qui est appellé un trouble de la convergence dans la littérature scientifique internationale en ophtalmologie.
Etant données les limites de cette étude, on ne peut à peu près rien en conclure, si ce n'est qu'il faudrait répéter de telles recherches en incluant un groupe contrôle, en mettant les investigateurs en aveugle, en leur ayant spécifié au préalable des seuils diagnostiques objectifs et très précis.
En supposant qu'une nouvelle étude confirme un jour la présence du SDP chez des enfants dyslexiques, à une prévalence plus plausible (par exemple, 30% ou 50% des dyslexiques contre 10% des contrôles), encore faudrait-il établir que ce syndrome joue un rôle causal dans les difficultés de lecture, plutôt que d'être une simple comorbidité ou le résultat d'un facteur confondant. De telles questions se sont déjà posées dans le passé pour des symptômes voisins du SDP (les troubles moteurs censés être d'origine cérébelleuse), et n'ont pas reçu de réponse très positive (cf. par exemple Ramus, Pidgeon & Frith 2003; White et al. 2006).

Quercia, P., Seigneuric, A., Chariot, S., Bron, A., Creuzot-Garcher, C., & Robichon, F. (2007). Etude de l'impact du contrôle postural associé au port de verres prismatiques dans la réduction des troubles cognitifs chez le dyslexique de développement. J Fr Ophtalmol, 30(4), 380-389.

Il s'agit de l'autre article-phare de la posturologie, auquel fait référence le Dr Virlet. C'est l'essai clinique censé démontrer l'efficacité de la prise en charge posturologique sur les troubles de lecture.

Support de publication:

Comme le précédent. C'est tout de même fâcheux étant donnée l'importance attribuée à cet essai clinique dans l'argumentaire.

Synthèse de l'article:

33 enfants dyslexiques présentant un SDP ont été recrutés pour cette étude. 16 (20-4 exclus) ont fait l'objet d'un traitement comportant "des prismes posturaux, des semelles de posture et une rééducation posturale".  13 étaient dans le groupe contrôle, et devaient à ce titre porter des lunettes sans prismes. La répartition dans les deux groupes était randomisée et les enfants étaient aveugles à leur groupe d'appartenance. Le traitement a duré 6 mois, la performance en lecture des enfants et les symptômes du SDP étant évalués avant et après traitement. A l'issue du traitement, les enfants du groupe traité présentaient moins de symptômes de SDP. La plupart avaient progressé en lecture, plus que les enfants du groupe contrôle en moyenne.

Commentaire:

Les principales limites de l'étude sont: 1) le faible effectif; 2) les progrès nuls du groupe contrôle; 3) quelques incertitudes sur la méthodologie, que je ne commenterai pas ici, laissant le bénéfice du doute aux auteurs.
Concernant l'effectif, l'explication est assez technique statistiquement. Rappelons que, du point de vue des chercheurs qui font des méta-analyses des résultats d'essais cliniques, il est d'usage de ne pas prendre en compte les études ayant un effectif inférieur à 35 par groupe (certains recommandent plutôt 50). La raison est qu'à moins de 35 par groupe, les chercheurs ont une puissance statistique inférieure à 55% de détecter un effet (différence de progression entre les groupes) de taille d=0.5, qui est la limite supérieure des effets de la plupart des interventions. Ainsi, ils courent un risque important de ne pas détecter l'effet recherché s'il existe. Et lorsqu'ils trouvent l'effet recherché statistiquement significatif, il y a un risque important que ce soit à la faveur d'une surestimation de la taille d'effet, et que l'effet soit en fait un faux résultat positif. Etant donné le biais de publication en faveur des résultats positifs, inclure des essais de trop faible effectif présente un risque inacceptable de biaiser les méta-analyses en faveur d'effets fictifs (Kraemer et coll. 1998; Coyne et coll. 2010). A la lumière de cet argumentaire, on est donc conduit à se poser la question de savoir si les effets observés dans l'étude de Quercia et coll. ne seraient pas surestimés, voire un faux positif. Plus généralement, cela pose la question de l'intérêt de conduire des essais cliniques dont on sait à l'avance qu'ils seraient considérés comme de qualité trop faible pour être inclus dans une méta-analyse.
Concernant le second point, un indice possible réside dans les progressions des deux groupes, qui ne sont malheureusement pas chiffrées dans des tableaux, mais qui sont rapportées dans la figure 1. Alors que les enfants du groupe traité progressent de quelques mois d'âge de lecture (environ 5) en moyenne, les enfants du groupe contrôle ne semblent pas progresser du tout. Considérant que les deux mesures sont espacées de 6 mois, les progrès du groupe traité sont donc en rapport avec le fait qu'ils ont bénéficié de 6 mois de développement cognitif et de scolarisation. Le fait que le groupe contrôle stagne totalement pendant ces 6 mois est à l'inverse très étonnant, pour ne pas dire inquiétant. Il est vrai que les enfants dyslexique, précisément du fait de leurs déficits, ne progressent pas toujours au même rythme que les autres enfants. Mais de là à ne pas progresser du tout en 6 mois (alors même qu'il devrait y avoir une progression due à l'effet test-retest), c'est incompréhensible. Ceci peut laisser supposer que les différences de progression entre les deux groupes pourraient être statistiquement significatives, non en raison des progrès remarquables du groupe traité (ils ne sont pas remarquables, sauf pour un enfant qui progresse d'environ 18 mois), mais plutôt en raison de la stagnation (régression même pour certains) inhabituelle du groupe contrôle. Il est impossible de connaître les raisons de cette stagnation, il peut s'agir d'un simple effet d'échantillonage (les enfants les plus rétifs à la lecture ayant été par hasard attribués au groupe contrôle), un tel effet étant d'autant plus probable que l'effectif est faible.
A l'issue de cet article, il est impossible de dire si le groupe traité a réellement progressé plus que le groupe contrôle, en raison du traitement suivi, ou pas. Une telle étude ne peut au mieux qu'encourager une nouvelle étude à plus grand effectif, en assurant la randomisation et la procédure en double aveugle (points qui n'étaient pas totalement clairs dans l'article). Pour un point de vue complémentaire au mien, on lira avec intérêt la mise au point de l'un des co-auteurs de l'étude, qui s'est vu obligé de se distancier de ce qu'on lui faisait dire.

Pozzo, T., Vernet, P., Creuzot-Garcher, C., Robichon, F., Bron, A., & Quercia, P. (2006). Static postural control in children with developmental dyslexia. Neuroscience Letters, 403(3), 211-215.

Support de publication:

Revue internationale de neurosciences ayant un niveau d'exigence assez faible.

Synthèse de l'article:

50 enfants dyslexiques et 42 enfants contrôles ont participé à une expérience consistant à se tenir debout, immobile, sur une plate-forme, sur deux pieds pendant 25 s ou sur un pied pendant 13 s, yeux ouverts puis yeux fermés. L'équilibre postural de chaque enfant a été quantifié dans chaque condition par le parcours de son centre de gravité. Sur deux pieds, les enfants dyslexiques montraient, en moyenne, un parcours de leur centre de gravité légèrement plus long que les contrôles. Sur un pied, une proportion plus importante d'enfants dyslexiques que contrôles échouaient à tenir 13s, en particulier yeux fermés. Les auteurs concluent que tous les enfants dyslexiques testés dans cette étude présentent une instabilité posturale.

Commentaire:

L'affirmation selon laquelle tous les enfants dyslexiques vus dans cette étude présenteraient une instabilité posturale est particulièrement contestable. Cette affirmation repose sur le fait que tous les enfants dyslexiques avaient au moins une valeur déviante sur toutes les variables posturales mesurées. Sachant que le critère de déviance n'est pas précisé, et qu'il y avait pas moins de 14 variables, autrement dit la probabilité qu'un enfant soit déviant sur au moins une variable parmi 14 est nécessairement très élevée. D'ailleurs les auteurs n'indiquent pas combien d'enfants contrôles vérifient un tel critère.

Pour le reste, sur bien des aspects, les résultats de cette étude sont comparables à d'autres publiés dans la littérature scientifique sur la dyslexie. La méthodologie est très proche de celle que j'avais utilisée chez 16 adultes dyslexiques et 16 contrôles (Ramus et al. 2003), mais qui ne m'avait pas permis de constater de déficit postural. D'autres études, en revanche (dont certaines de mon équipe), dans la lignée des travaux de Nicolson & Fawcett (1990), utilisant des méthodes variées, ont pu également constater des troubles moteurs, y compris des troubles de la stabilité posturale, chez une partie des enfants dyslexiques (Ramus, Pidgeon & Frith 2003; White et al. 2006). Ces observations, à elles seules, n'autorisent pas à conclure qu'un déficit postural est la cause de la dyslexie. L'interprétation la plus parcimonieuse est que des troubles moteurs sont comorbides avec la dyslexie, comme ils le sont avec tous les troubles du développement de l'enfant. Un lien spécifique avec l'apprentissage de la lecture n'a jamais été démontré.

Vieira, S., Quercia, P., Michel, C., Pozzo, T., & Bonnetblanc, F. (2009). Cognitive demands impair postural control in developmental dyslexia: a negative effect that can be compensated. Neuroscience Letters, 462(2), 125-129.

Support de publication:

Revue internationale de neurosciences ayant un niveau d'exigence assez faible.

Synthèse de l'article:

Cette étude porte sur 15 enfants dyslexiques traités pendant au moins 3 mois par la méthode posturologique, 12 enfants dyslexiques non traités, et 12 témoins. L'expérience nécessitait de maintenir son équilibre debout sur deux pieds, soit en regardant un point de fixation, soit en lisant un texte silencieusement (condition de double tâche). Dans la condition avec regard d'un point de fixation, les trois groupes montraient une stabilité posturale similaire. En revanche, dans la condition avec lecture silencieuse, le groupe dyslexique non traité présentait plus d'instabilité posturale que le groupe contrôle et que le groupe dyslexique traité. Les auteurs concluent qu'un effort cognitif important affecte l'équilibre chez les enfants dyslexiques, mais que cet effet peut être normalisé grâce au traitement postural.

Commentaire:

Les résultats obtenus sont peu surprenants, et sont compatibles avec toutes les théories de la dyslexie. Les auteurs suggèrent que l'effet de la lecture sur l'équilibre chez les enfants dyslexiques reflète, chez ces enfants, un lien particulier entre équilibre et lecture. Mais l'interprétation la plus parcimonieuse de leurs résultats est simplement que la lecture d'un texte est un effort cognitif particulièrement important pour les enfants dyslexiques, qui perturberait la performance dans n'importe quelle autre tâche simultanée, alors que c'est une tâche automatique pour les enfants contrôles. Du coup, placés dans une situation de double tâche difficile, les enfants dyslexiques ont plus de difficulté à maintenir leur équilibre, alors que la situation est moins difficile pour les enfants contrôles. Pour que l'on puisse potentiellement conclure à un effet plus spécifique, il aurait fallu que la tâche cognitive soit de difficulté égale pour les enfants dyslexiques et contrôles, et que l'on compare la performance dans la tâche d'équilibre à la performance dans une tâche n'impliquant pas l'équilibre ou la proprioception. Quant à la performance des enfants dyslexiques réputés "traités" (mais aucun score de lecture n'est rapporté à l'appui de l'efficacité présumée du traitement), il est difficile d'en conclure quoi que ce soit, car ils sont plus âgés (12 ans et demi) que les dyslexiques non traités (11 ans et demi) et que les contrôles (10 ans et demi). Peut-être leur performance dans la double tâche est meilleure que celles des dyslexiques non traités simplement parce qu'ils sont plus âgés qu'eux, et qu'à la fois la lecture et l'équilibre s'améliorent avec l'âge. On ne peut donc conclure de cette étude, ni qu'elle a montré un lien fonctionnel particulier entre équilibre et lecture dans la dyslexie, ni que le traitement posturologique améliore quoi que ce soit.

Autres publications

Quercia, P., Demougeot, L., Dos Santos, M., & Bonnetblanc, F. (2011). Integration of proprioceptive signals and attentional capacity during postural control are impaired but subject to improvement in dyslexic children. Exp Brain Res, 209(4), 599-608.

Cet article est une variante de celui de Vieira et al. (2009) dans lequel des vibrations sont, ou non, appliquées à la cheville pour affecter l'équilibre et produire un effet distracteur, et dans lequel la tâche cognitive n'est plus de la lecture mais du comptage d'étoiles sur un dessin. Ce dernier point pourrait être une bonne réponse à la critique émise ci-dessus concernant la difficulté particulière de la tâche de lecture pour les enfants dyslexiques. Malheureusement, cette tâche est toujours plus difficile pour les enfants dyslexiques que pour les témoins, ainsi que le montrent les résultats dans la condition sans vibration.  Par conséquent, on peut proposer la même interprétation que pour Vieira et al. (2009). Globalement les résultats de cet article ne conduisent pas à des conclusions très claires. Les dyslexiques ont une stabilité posturale légèrement moins bonne que les contrôles, particulièrement dans la condition avec vibration, et ils sont aussi moins bons dans la tâche de comptage d'étoiles. Rien de très surprenant. Les dyslexiques "traités", eux, sont tantôt au niveau de performance des dyslexiques, tantôt à celui des contrôles, sans qu'une tendance claire se dégage. Les liens potentiels entre les meilleurs performances des dyslexiques "traités" dans certaines conditions, et leur possible meilleure performance en lecture ne sont pas testés. Enfin, la Figure 6 montrant les données de tous les participants sur une mesure composite entre la tâche cognitive et l'équilibre permet de constater le recouvrement important entre les groupes, bien éloigné des affirmations des articles précédents (selon lesquelles 100% des dyslexiques auraient un SDP)

Vieira, S., Quercia, P., Bonnetblanc, F., & Michel, C. (2013). Space representation in children with dyslexia and children without dyslexia: Contribution of line bisection and circle centering tasks. Res Dev Disabil, 34(11), 3997-4008. doi: http://dx.doi.org/10.1016/j.ridd.2013.08.031

Cet article explore différents aspects de l'attention visuelle chez les enfants dyslexiques, et contribue de manière intéressante à ce secteur de la littérature scientifique. Néanmoins, il ne permet pas de conclure si les différences d'attention visuelle observée sont des causes ou des conséquences du retard d'apprentissage de la lecture chez les dyslexiques. En effet, l'apprentissage de la lecture implique une réorganisation et un entraînement très important de l'attention visuelle, et par conséquent il n'est pas étonnant que des enfants ayant moins bien appris à lire et moins lu aient moins réorganisé (ou réorganisé différemment) et moins entraîné leur attention visuelle, ce qui pourrait expliquer toutes les différences observées ici. Seules des études longitudinales mesurant l'attention visuelle avant l'apprentissage de la lecture serait en position de montrer éventuellement que les enfants avec une attention visuelle atypique sont ceux qui deviennent ultérieurement dyslexiques, venant ainsi à l'appui d'un lien causal entre attention visuelle et dyslexie. En tout état de cause, cet article n'a pas de lien direct avec la posturologie.

Michel, C., Bidot, S., Bonnetblanc, F., & Quercia, P. (2010). Left minineglect or inverse pseudoneglect in children with dyslexia? Neuroreport, 22(2), 93-96.

Il s'agit d'une étude préliminaire à l'étude de Veira et al. (2013), sur un tout petit échantillon d'enfants.

Quercia, P., Feiss, L., & Michel, C. (2013). Developmental dyslexia and vision. Clinical ophthalmology (Auckland, NZ), 7, 869.

Cet article est une revue de la littérature sur les mouvements oculaires, la vision et l'attention visuelle dans la dyslexie. Il fait en outre la promotion du SDP auprès des opthalmologues.

Résumé

Il faut reconnaître au Dr Quercia et à ses collaborateurs le mérite d'avoir effectué, pour la première fois, de véritables recherches sur le SDP dans la dyslexie, et de s'être efforcés de les publier pour la plupart dans des revues scientifiques internationales de plus ou moins bon niveau. Néanmoins, à l'heure actuelle, ces publications ne permettent de conclure ni 1) que tous les enfants dyslexiques (ni même une proportion importante) auraient un SDP, ni 2) qu'un SDP puisse être une cause de trouble de lecture, ne serait-ce que pour certains enfants, ni 3) que la remédiation posturologique améliore la lecture des enfants dyslexiques (ou au moins de ceux qui auraient un SDP). Les deux études qui potentiellement pourraient apporter les éléments les plus forts dans ce sens sont celles qui souffrent des limites méthodologiques les plus importantes, et qui de ce fait n'ont pas passé le filtre de l'expertise internationale par les pairs. Les autres études apportent, pour certaines, des données sur l'équilibre ou l'attention visuelle dans la dyslexie qui ne sont pas inintéressantes, et qui sont souvent cohérentes avec bien d'autres données publiées. En revanche, elles n'apportent pas directement d'eau au moulin de la théorie du SDP ni du traitement associé.

Réponses détaillées aux différents arguments de la lettre de M. Virlet

L'existence d'un DU (diplôme universitaire)

D'après M. Virlet, cette méthode "fait l'objet d'un enseignement spécifique dans le cadre d'un Diplôme Universitaire qui lui est dédié, le DU Perception Action troubles des apprentissages, délivré par l'Université de Bourgogne. Ceci devrait rassurer les familles à trois titres; un diplôme universitaire ne peut délivrer un enseignement que sur des faits validés scientifiquement; ce DU s'adresse à des professionnels de santé et enfin, s'il y a des bénéfices tirés de cette formation, ceux-ci sont pour l'Université et ne provoqueront aucun enrichissement personnel."
S'il est incontestable que la posturologie pour les troubles des apprentissages fait bien l'objet d'un DU à l'Université de Bourgogne, l'existence d'un tel DU n'est pas de nature, en soi, à légitimer la méthode. En effet, bien des bêtises sont enseignées à l'université, y compris dans les diplômes nationaux (licence et master), et a fortiori dans les diplômes universitaires dont l'existence est sous l'entière responsabilité de chaque université (cf. la réglementation des DU). Je ne sais pas quelle procédure est en vigueur à l'Université de Bourgogne pour l'évaluation des propositions de DU, mais je serais de fait très intéressé de la connaître, et de savoir si une expertise scientifique (effectuée par quel(s) expert(s)?) a été requise préalablement à l'ouverture de ce DU. En tout état de cause, une simple recherche sur internet permet de constater qu'il existe une profusion de DU en tous genres, y compris dans des domaines totalement pseudo-scientifiques. On trouve par exemple de nombreux DU en homéopathie, en acupuncture, ou encore en psychanalyse, autant d'enseignements dont on peut dire que non seulement ils ne sont pas validés scientifiquement, mais qu'ils sont au contraire démentis par des faits validés scientifiquement. Autrement dit, le fait qu'une méthode soit promue par un DU dans une université ne dit strictement rien sur sa validité scientifique. Par conséquent, le fait que ce DU "s'adresse à des professionnels de santé" n'est pas de nature à en renforcer la crédibilité, mais devrait plutôt inspirer de l'inquiétude (concernant la formation des professionnels).

Un financement du PHRC (programme hospitalier de recherche clinique)

A propos d'un essai clinique portant sur le traitement proprioceptif de la dyslexie, M. Virlet écrit: "Malgré les limites de cette étude, le fait qu'elle ait été réalisée dans un cadre hospitalier et dans celui du PHRC devrait rassurer sur la qualité et l'honnêteté des résultats".
L'honnêté de personne n'est mise en cause. Mais il serait erroné de croire que le cadre hospitalier et le financement du PHRC garantissent grand-chose. Tout au plus le financement du PHRC indique que le projet, tel qu'il a été soumis au PHRC, avait été jugé suffisamment intéressant et méthodologiquement correct pour bénéficier d'un financement. Je n'ai pas lu le projet soumis au PHRC, mais je ne conteste pas qu'il ait pu être digne d'un financement. Néanmoins cela ne dit rien sur le projet tel qu'il a été réalisé, la réalisation pouvant, pour diverses raisons, être bien éloignée du projet initial. Et bien sûr, le financement d'un projet ne peut préjuger des résultats. Bien des essais cliniques méthodologiquement irréprochables et financés par les meilleures institutions débouchent sur des résultats nuls ou non concluants quant à l'efficacité du traitement testé. C'est la loi de la recherche. Si tous les essais cliniques donnaient des résultats positifs et concluants, il n'y aurait pas besoin d'en conduire.

L'absence de traitement efficace

M. Virlet écrit: "l'expertise de l'Inserm (2007) regrette l'absence de prises en charge en pratique courante significativement efficaces. Notre système de santé actuel est donc impuissant face à ce handicap".
En vérité, l'expertise de l'Inserm consacre son chapitre 22 à passer en revue les interventions pédagogiques ayant une efficacité prouvée. Le chapitre 23 passe en revue les traitements de nature plus médicale. L'expertise conclut que la remédiation orthophonique, basée sur les mêmes principes que les interventions pédagogiques, bénéficie d'une forte présomption d'efficacité, mais regrette la carence d'essais cliniques rigoureux permettant d'établir définitivement cette efficacité. Les autres traitements médicaux passés en revue ne montrent pas d'efficacité convaincante.
On ne peut donc pas dire qu'il n'existe aucune prise en charge efficace. A défaut de prises en charges pédagogiques mises en  oeuvre par les enseignants dans les écoles, beaucoup d'orthophonistes mettent en oeuvre les mêmes méthodes pour le plus grand bénéfice d'un grand nombre d'enfants dyslexiques. Simplement, ils ne font pas de miracle, et il est vrai qu'une fraction des enfants dyslexiques ne répondent pas positivement à la remédiation orthophonique. Si ce constat justifie des recherches sur d'autres méthodes, destinées particulièrement aux enfants résistants à l'orthophonie, cela ne suffit pas en soi à valider des approches alternatives, quelles qu'elles soient.

On ne peut pas critiquer sans répliquer

M. Virlet écrit: "Pourquoi depuis 2007, ne pas avoir pris en compte cette approche proprioceptive, par des travaux de réplication de ces études, seules réponses scientifiquement valables pour les confirmer, ou pour les réfuter? (...) On ne peut pas rejeter une thèse sérieuse et étayée sans l'avoir répliquée scientifiquement."
Comme M. Virlet, je crois que seules les réplications multiples des résultats permettent de les établir définitivement, et j'appelle moi aussi de mes voeux des travaux indépendants sur la théorie proprioceptive de la dyslexie, qui soient à même de répliquer (ou pas) les résultats avancés (discutés ci-dessous). Il ne s'ensuit pas que c'est nécessairement à moi qu'incombe la charge de tels travaux de réplication. Il s'ensuit encore moins que seuls les chercheurs engagés personnellement dans de tels travaux de réplication seraient autorisés à donner leur avis sur les résultats publiés. Tout chercheur compétent et ayant consulté les études pertinentes publiées dans les revues scientifiques internationales est en droit d'en faire la synthèse et de dire ce qu'il en pense, y compris en constatant l'absence de réplications indépendantes.
Pourquoi donc n'y a-t-il pas eu d'études de réplication indépendante des travaux en posturologie de la dyslexie? Une première raison est que ces travaux sont très, très peu visibles sur le plan international. De ce que j'en ai compris, la théorie du syndrome de déficience posturale a été mise au point au Portugal par le Dr Martins da Cunha, qui n'a de toute évidence jamais publié ses travaux dans une revue scientifique internationale. En revanche, ces derniers ont été popularisés en France par la parution d'un livre traduit en 1979, à partir de quoi cette théorie semble avoir fait école auprès d'un petit groupe de médecins français, qui, pendant plus de vingt ans, ne semblent pas non plus avoir éprouvé le besoin d'asseoir leur pratique sur des recherches susceptibles d'être publiées dans des revues scientifiques internationales. Les premières recherches véritables semblent avoir démarré au début des années 2000 avec les travaux des Dr Quercia et Pozzo à l'Université de Bourgogne. A ce jour on compte 6 articles sur le sujet, dont 2 dans une revue d'ophtalmologie française. Ainsi, il n'est pas étonnant que mes collègues spécialistes de la dyslexie dans le monde entier n'aient jamais entendu parler de la théorie proprioceptive de la dyslexie, et que les bras leur en tombent quand je leur dis qu'en France on rééduque les enfants dyslexiques par des lunettes à prismes et des semelles compensées. Mon cas est un petit peu différent, car étant en France, je suis régulièrement interrogé par les familles et les professsionnels de santé à propos de cette méthode, ce qui m'a conduit à me documenter et à prendre connaissance de ces différents articles. Pourquoi donc n'ai-je pas pris l'initiative de tenter une réplication de ces travaux? Tout simplement parce que ce que j'en ai lu n'a pas suffi à me convaincre qu'il y avait là des hypothèses suffisamment plausibles pour que cela vaille la peine de consacrer du temps et des moyens à tenter de les tester.
Il faut bien comprendre que des théories de la dyslexie et des traitements miracles, on en trouve par paquets de douze! Serait-il légitime de consacrer mon temps limité et de l'argent public à toutes les tester? On pourrait épuiser tout le budget de la recherche française à ne faire que tester des hypothèses issues des pseudo-médecines, qui n'ont pour la plupart pas la moindre vraisemblance. C'est pour cela que la charge de la preuve incombe en premier lieu à ceux qui affirment la validité d'une théorie ou l'efficacité d'un traitement. Pour les autres, il est inévitable de devoir sélectionner les hypothèses à tester en fonction de leur cohérence avec l'ensemble des connaissances déjà acquises et des espoirs plausibles qu'on peut y fonder. En ce qui me concerne, mes journées n'ont que 24h et j'ai déjà plein de questions passionnantes que j'aimerais tester et qui restent en attente car je n'en ai pas le temps. Si une nouvelle théorie de la dyslexie surgit et me paraît suffisamment convaincante ou au moins intéressante, tôt ou tard, je finis par la tester. Dans le monde de la recherche sur la dyslexie, je suis même connu pour avoir testé et comparé un grand nombre de théories de la dyslexie (théories phonologique, du traitement temporel auditif, magnocellulaire, cérébelleuse, de l'automaticité,de l'ancrage, de l'empan visuo-attentionnel, du stress visuel...). Mais je suis obligé d'en laisser à d'autres. Et je suis au regret de constater que personne d'autre n'a trouvé la théorie proprioceptive de la dyslexie suffisamment séduisante pour être testée.
Mais rien de tout cela ne m'interdit de lire les articles et de donner mon avis, et ce d'autant plus qu'un grand nombre de parents et de professionnels me le demandent, s'avouant très déconcertés à la fois par la nature de cette méthode et par les prétentions très étonnantes de ses promoteurs. Si moi, qui ai la compétence scientifique pour lire, comprendre et évaluer les articles publiés sur cette méthode, ne le fais pas, qui va le faire?

Réponse à M. Quercia

Pour ceux qui voudraient encore creuser, voici les deux messages que j'ai envoyés en réponse à ceux de M. Patrick Quercia.

Premier email

Cher Monsieur,
Je ne suis pas totalement ignorant de vos travaux et je ne tiens pas particulièrement à les salir. J’ai en fait bien suivi vos recherches, je pense avoir tous vos articles sur la dyslexie, et je les ai lus. A ce jour, ils ne m’ont convaincu ni 1) qu’un déficit proprioceptif joue un rôle particulier dans l’étiologie de la dyslexie, ni 2) que le traitement proposé a un effet sur la lecture supérieur au placebo. Je pourrais bien sûr mener moi-même des recherches visant à tester vos hypothèses. Malheureusement, les hypothèses les plus diverses ont été émises sur la dyslexie, et les tester toutes pourraient remplir plusieurs carrières de chercheur. Mes journées n’ayant que 24 heures, au moment de déterminer à quoi j’occupe mon temps de travail, je suis obligé d’arbitrer et je choisis donc de tester les hypothèses qui me paraissent les plus prometteuses. Sur la base des données que vous avez présentées, je considère que les vôtres n’en font pas partie.
Néanmoins, je suis un scientifique, pas un croyant. Si vous publiez un jour des données à même de me convaincre, et si ces résultats peuvent être répliqués par d’autres, alors je changerai sans problème d’avis et je n’aurai aucun problème à le reconnaître publiquement.
En attendant que cela soit éventuellement le cas, lorsque je suis amené à formuler des recommandations de santé publique, le mieux que je puisse faire est de baser ces recommandations sur mon appréciation de l’état de l’art des connaissances scientifiques au moment où je m’exprime. Faire quoi que ce soit d’autre serait, à mon sens, tout à fait irresponsable.
Soyez donc assuré qu’il n’y a de ma part aucune animosité ni mauvaise intention, simplement le souci de faire progresser au mieux la connaissance des causes de la dyslexie, et le souci de conseiller les familles sur la base des connaissances scientifiques les mieux établies. De manière générale, j’ai l’esprit ouvert à de multiples hypothèses, et je ne demande qu’à être convaincu et à changer d’avis. Mais il me faudra pour cela plus que de voir un examen proprioceptif chez un enfant dyslexique.
Cordialement,
Franck Ramus

Deuxième email

  • Je suis évidemment d’accord avec vous sur la relation entre les faits et la théorie. En revanche je pense que nous avons un désaccord fondamental sur ce qui établit un fait. Vous semblez penser que l’observation clinique est la panacée. Or toute l’histoire de la médecine (et de nombreuses études expérimentales) montrent que ce n’est pas le cas. Pensez à tous ces médecins qui, pendant 2000 ans, ont, sur la base de leurs observations cliniques, cru dur comme fer que la saignée améliorait l’état de leurs patients. L’observation clinique ne peut servir qu’à émettre des hypothèses, qui ensuite doivent être évaluées rigoureusement de manière expérimentale, et dont les résultats doivent être répliqués plusieurs fois pour acquérir le statut de fait. Sur ce sujet je vous renvoie à ce que j’ai écrit et dit dans un autre contexte mais qui est tout aussi pertinent ici :
  • Quant à la théorie phonologique, elle repose non seulement sur l’observation des différences entre dyslexiques et témoins, mais aussi sur des études longitudinales (certaines démarrant dès la naissance) montrant que les difficultés phonologiques prédisent les difficultés de la lecture à plusieurs années d’intervalle, et sur des études d’intervention montrant les effets d’un entrainement phonologique sur la lecture. Difficile d’avoir un faisceau de preuves convergentes plus fort. Toutes les autres théories de la dyslexie sont à des années-lumières de ce niveau de preuve.
Cordialement,
Franck Ramus

Références

Coyne, J. C., Thombs, B. D., & Hagedoorn, M. (2010). Ain't necessarily so: review and critique of recent meta-analyses of behavioral medicine interventions in health psychology. Health Psychol, 29(2), 107-116. doi: 10.1037/a0017633
Kraemer, H. C., Gardner, C., Brooks, J. O., III, & Yesavage, J. A. (1998). Advantages of excluding underpowered studies in meta-analysis: Inclusionist versus exclusionist viewpoints. Psychological Methods, 3(1), 23-31. doi: 10.1037/1082-989x.3.1.23
Martins da Cunha, H. (1979). Syndrome de déficience posturale. Paris: Masson.
Nicolson, R. I., & Fawcett, A. J. (1990). Automaticity: a new framework for dyslexia research? Cognition, 35(2), 159-182.
Ramus, F., Pidgeon, E., & Frith, U. (2003). The relationship between motor control and phonology in dyslexic children. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 44(5), 712-722.
Ramus, F., Rosen, S., Dakin, S. C., Day, B. L., Castellote, J. M., White, S., & Frith, U. (2003). Theories of developmental dyslexia: Insights from a multiple case study of dyslexic adults. Brain, 126(4), 841-865.
White, S., Milne, E., Rosen, S., Hansen, P. C., Swettenham, J., Frith, U., & Ramus, F. (2006). The role of sensorimotor impairments in dyslexia: A multiple case study of dyslexic children. Developmental Science, 9(3), 237-255.

13 commentaires:

  1. Cher Monsieur
    Je n'aime pas la polémique publique. Et le contenu de ce qu vous venez de publier sur votre blog est bien de cette nature et non pas de nature informationnelle. Vous mettez en cause mon travail dans un texte accessible à tous sur la toile sans m'en parler. Ce n'est pas très fair play.
    Vos commentaires sont très intéressants mais reflètent un mode de pensée que je connais très bien, qui consiste à ne croire que ce qui est écrit, et parfois à interpréter le contenu avec un manque évident de modestie et de recul. Vous savez très bien qu'il existe toujours un gap, au moins temporel, entre réalité clinique et publications scientifiques dans toute nouvelle approche conceptuelle en médecine. L'histoire de la médecine est là pour nous le rappeler avec violence. J'affirme que vous ne connaissez rien au traitement proprioceptif, ni même probablement au rôle cognitif de la proprioception dans les relations entre perception et action. Vous n'avez aucune légitimité, quel que soit votre niveau intellectuel et vos compétences dans d'autres domaines de la recherche, pour en parler et vous devriez être bien plus prudent car des patients vous lisent. Certains doivent même penser que vous êtes médecin. Je ne crains pas la critique ni la confrontation intellectuelle et c'est pourquoi je réitère mon invitation à venir passer une journée à mon cabinet pour examiner des patients dyslexiques(consentants et prévenus) avec moi. Nous ne serons pas d'accord probablement mais nous sommes des êtres civilisés et cela pourrait bien être profitable pour chacun d'entre nous. Alors vous saurez de quoi on parle. Avec l'expérience de plus de 7000 dyslexiques examinés à ce jour, je reste en total désaccord avec ce que vous écrivez dans vos conclusions. Je réaffirme que le patient, et non pas des statistiques établies nécessairement sur des séries limitées, reste au centre de la problématique. L’aider est fondamental et tout faire pour lui est crucial. Une approche clinique, dans le respect de l’éthique, non iatrogène, et selon un protocole scientifique rigoureux, même sans preuve biologique établie sur 10000 cas, peut valider la proposition d'un traitement et conforter l’hypothèse malgré un niveau de preuve encore limité. En d’autres termes, sans attendre les preuves neurobiologiques scientifiques, il est de notre devoir de proposer des traitements dans l'intérêt des patients dès lors que l'on constate cliniquement des améliorations - parfois spectaculaires - et c'est le cas. Ceux-ci sont toujours informés des limites de ce que je propose et ne sont pas des imbéciles. Ils gardent leur libre-arbitre. Certes la médecine se fonde sur la science, mais elle se doit d’aller plus loin. Vos commentaires assassins sur un travail mené depuis près de 15 ans laisse penser que vous, vous avez fait le tour de la question alors même que vous omettez de signaler que vous n'en avez pas trouvé la porte d'entrée.
    J'espère sincèrement que vous accepterez de venir voir des examens proprioceptifs, contrairement à ce que vous avez fait lors de mon premier message d'invitation.
    Même si je n'aime pas beaucoup être mis en cause publiquement comme vous le faîtes, je vous salue.

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  2. J'ajoute - pour compléter mes commentaires - le contenu d'un éditorial publié la semaine passée dans une revue de grande diffusion (non indexée comme scientifique..) « La recherche ? des idées et des rêves »

    Edito de Idriss Aberkane
    "La recherche fondamentale, cette utopie idéaliste, anticonformiste et pleine d’audace qui était hier entre les mains de Newton, Planck, Einstein, Bohr, Pasteur, Feynman ou Noether, n’est plus qu’un moulin à données. Le chercheur, censé avoir pour seul objectif de poser l’esprit là où aucun humain ne l’a posé avant lui, est le plus souvent un « data zombie », une machine à mouliner de la donnée, voire bien trop souvent, à la truquer, pour prendre sa place dans une vaste course de dupes que l’on appelle l’indice H (le classement des articles par nombre de citations)

    Avec le recul les générations suivantes verront dans cette forme de recherche une forme de scolastique médiévale, doxa autoproclamée et jalouse, destinée à être balayée par une nouvelle renaissance scientifique anticonformiste, comme Galilée, Bruno, Copernic ou Léonard ont été les hérétiques à l’orthodoxie bréhaigne de leur temps.

    Les idées ou les rêves peuvent changer le monde. Les données qui ne sont portées par aucune idée ni aucun rêve ne l’ont jamais fait".


    Que dire de plus?
    cordialement

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  3. Bonjour,

    Je ne suis pas chercheur, je suis la maman d’un enfant qui suit un traitement proprioceptif avec un certain succès, même si je suis la première à reconnaître que celui-ci n’est pas un long fleuve tranquille. Je vous ai lu attentivement. Vous écrivez d’une part que la remédiation posturologique reste incompréhensible à l’aune des connaissances scientifiques actuelles et j’ai eu la surprise de lire à plusieurs reprises que le traitement proprioceptif consiste, entre autre, à porter des « semelles compensées ». Pour le coup, je comprends votre incompréhension. Au vu de mon expérience, vouloir traiter un enfant présentant un trouble proprioceptif avec des semelles compensées, ça ne risque pas de fonctionner. En tout cas, en plus de deux ans de traitement proprioceptif chez mon fils, je n’ai jamais entendu parler de semelles compensées (?). Si malgré vos certitudes vous avez gardé un brin de curiosité, je vous invite à venir voir sur mon blog à quoi ressemblent les semelles proprioceptives de mon fils : http://troublesneurovisuels.unblog.fr/2013/11/22/sdp-les-semelles/

    Par ailleurs, en tant que parent d’un enfant suivant ce traitement, je dois vous dire que je trouve personnellement blessant de le voir assimilé à une « méthode fantaisiste ». Pensez-vous réellement que les parents des 7000 enfants qui ont consulté le Dr Quercia, ainsi que ceux qui sont pris en charge par ses confrères, sont tous aveuglés et stupides au point de faire endurer à leurs enfants un traitement long et exigeant qui n'apporterait aucun résultat ? D’autant plus que pour nombre d’entre nous, nous avons pu tester les limites des autres rééducations lorsqu’elles n’étaient pas associées au traitement proprioceptif. Ou alors, peut-être considérez-vous que le Dr Quercia et ses confrères sont des gourous assez puissants pour nous maintenir sous emprise, alors même que nous ne les voyons en consultation qu’une à deux fois par an ? Ayant grandi dans une secte, j’ai connu un autre rythme pour maintenir des adeptes sous emprise : cinq réunions par semaine et trois grandes assemblées par an, c’était autrement efficace. Et malgré tout, j’ai eu suffisamment d’esprit critique pour m’en sortir …

    Il me semblerait donc bon de ne pas oublier que derrière ce débat « scientifique », il y a des familles de plus en plus nombreuses qui font le choix de tenter ce traitement émergent, ayant à ce titre ses limites. Qui peut dire aujourd’hui ce qu’il en sera de l’hypothèse proprioceptive de la dyslexie dans 50 ans ?

    Quand, bien avant Pasteur et la découverte des microbes, Philip Semmelweis pressenti leur existence et recommanda aux médecins accoucheurs de se laver les mains avant d’examiner leurs patientes, il rencontra l’opposition féroce de la communauté scientifique de l’époque. Aujourd’hui, qui contesterait ses préconisations ?

    Je conclurai par cet extrait du texte de Thierry Kubler (http://www.larecherche.fr/savoirs/figure-du-passe/philippe-ignace-semmelweis-verite-prematuree-01-04-2003-71614) :

    « Semmelweis, aujourd'hui encore, combien d'évidences ne seront évidentes qu'après-demain ? Vous avez voulu améliorer la vie par les pratiques auxquelles vous amenait la logique, avant que la théorie ne vienne conforter vos expériences. Actuellement, ce sont les théories qui tendent à gouverner, et il faudrait que la pratique, la vie, se plie à leurs prédictions. Et, même si le niveau de nos techniques s'est diantrement élevé, je ne sais pas si nous avons vraiment changé. Mais bon, il se trouvera toujours un obstiné pour regarder autrement et refuser de rentrer dans le rang. C'est pour cela que j'aime bien votre histoire, Semmelweis, c'est tout de même celle de l'espoir. »

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  4. Réponse à M. Quercia:
    Je n'aime pas la polémique plus que vous, mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit.
    La seule raison pour laquelle j'ai pris le temps d'écrire cet article, c'est la lettre que M. Virlet a adressée (lui aussi, sans m'en parler au préalable, notez bien), non seulement à France Inter mais aussi aux ministères de la santé et de l'éducation nationale, à la direction générale de la santé, à la haute autorité de santé, à l'académie de médecine, et à toutes les associations de patients.
    J'ai vu ce courrier comme une tentative de faire la promotion de la posturologie auprès des décideurs, en la présentant sous un jour beaucoup plus favorable que ce qu'autorisent les recherches publiées jusqu'à présent. J'ai considéré qu'une telle promotion publique et au plus haut niveau ne pouvait pas rester sans réponse. Vous avez parfaitement le droit de faire du lobbying auprès des décideurs et des patients, et j'ai tout autant le droit de dire ce que j'en pense.
    Notre désaccord porte, fondamentalement, sur la meilleure manière d'interpréter les données scientifiques publiées. On ne peut pas juste dire au public non expert: "c'est publié dans des revues scientifiques, donc c'est validé". Encore faut-il pouvoir lire les publications et comprendre ce qu'elles permettent vraiment de conclure. C'est un débat scientifique, et un débat scientifique ne se joue pas derrière des portes closes, chacun essayant d'influencer le public en présentant son point de vue sans contradiction. Un débat scientifique doit être ouvert et contradictoire. C'est l'objet de cet article de blog. Vous avez donc bien fait de poster votre commentaire, et je vous invite à continuer. Notamment pour aborder les questions de fond. Vous considérez que mon interprétation de certains de vos résultats est incorrecte ? Alors expliquez pourquoi. Si vous me convainquez je réviserai mon de point de vue. Et ainsi les lecteurs auront tous les éléments du débat en main pour se faire leur propre avis.

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  5. Vous me reprochez de ne croire que ce qui est écrit, et vous suggérez que votre expérience clinique aurait plus de valeur que ce que vous avez publié dans les revues scientifiques. Mais comme vous le savez, dans la recherche scientifique et médicale, seul ce qui est publié dans les revues à comité de lecture compte. Si vous pensez avoir d'autres données et d'autres arguments à faire valoir que ce qui est déjà publié, alors il faut aussi les soumettre à des revues scientifiques, pour qu'ils puissent être examinés et discutés par les pairs. Et il faut accepter la critique éventuelle de vos données et de vos arguments par les autres chercheurs, condition sine qua non du progrès scientifique. Dire cela n'est rien d'autre que d'appliquer le standard de la médecine moderne, qui s'applique à vous comme à tous les autres. Dans le domaine pharmaceutique, vous regarderiez certainement avec une grande suspicion un laboratoire qui ferait la promotion d'un nouvelle molécule sur la base de l'expérience clinique des médecins qui l'utilisent, sans pour autant démontrer des bénéfices clairs dans des essais cliniques dûment expertisés et publiés. Il n'y a pas d'autorisation de mise sur le marché pour les traitements non médicamenteux, mais l'exigence scientifique doit être la même. Il n'est pas légitime de vouloir obtenir la validation officielle d'un traitement en passant par-dessus l'expertise scientifique et en s'adressant directement aux politiques. Ce genre de procédé, qui a malheureusement une certaine efficacité, conduit à des aberrations, comme l'illustrent les cas de l'homéopathie ou de la psychanalyse.

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  6. Enfin, je ne considère certainement pas avoir fait le tour de la question sur le fond. Je n'ai fait que le tour des travaux publiés. Mon avis n'est pas définitif et pourra changer en fonction des données. J'ai ajouté un paragraphe clarifiant cela à la fin de mon introduction.

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  7. Enfin, concernant les invocations de Claude Bernard, Galilée, ou Semmelweis, elle me paraissent assez déplacées dans le cas présent.
    Si Claude Bernard avait pensé que l'observation clinique avait plus de valeur que la recherche scientifique, il n'aurait certainement pas eu besoin de développer la médecine expérimentale comme il l'a fait.
    Galilée, Semmelweis, et autres génies incompris à leur époque, avaient en main toutes les données probantes à l'appui de ce qu'ils disaient. S'ils ont été ignorés ou persécutés par leurs contemporains, ce n'est point en raison de l'insuffisance de leurs données, mais en raison du fait que leurs contemporains accordaient plus de poids à leurs dogmes qu'aux données factuelles, manifestant ainsi un esprit anti-scientifique. Pour ma part, je n'ai pas de dogme à défendre, ce que je dis, c'est simplement que vos données sont insuffisantes pour venir à l'appui de votre thèse. Mais rassurez-vous, les temps ont changé, si vous produisez des données aussi probantes que Semmelweis, il ne faudra pas cent ans pour que vous convainquiez le reste du monde.
    De manière générale, l'argument du type "la science actuelle refuse d'accepter nos hypothèses, donc nous sommes des génies incompris comme Galilée et autres" est l'un des arguments les plus populaires dans toutes les pseudosciences et pseudo-médecines. La posturologie mérite mieux que cela.

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  8. Réponse à Troubles Neurovisuels:
    Personne ne dit que la posturologie est une secte, ni que le Dr Quercia est un gourou. Je présume l'honnêteté et la bonne foi de tout le monde. En revanche on peut être honnête, de bonne foi, et se tromper. Comme l'ont fait des milliers de médecins qui ont pratiqué la saignée pendant 2000 ans, aggravant l'état de santé de leurs patients, de manière honnête et de bonne foi. Comme le font encore des milliers d'homéopathes, de psychanalystes, et autres acteurs des pseudo-médecines, honnêtes et de bonne foi.

    En tant que parent, vous observez les progrès de votre enfant. Vous lui avez donné accès à un traitement proprioceptif, et vous constatez qu'il progresse. Personne ne remet en cause cette observation. En revanche, il faut être consciente des limites des conclusions que vous pouvez en tirer.
    Rien ne vous permet de sauter de cette observation à la conclusion que le traitement proprioceptif est la cause de ses progrès. En effet, plein d'autres facteurs peuvent être à l'origine des progrès de votre enfant: le temps, la maturation cérébrale, l'enseignement qu'il reçoit, d'autres choses qui se passent dans sa vie, etc. De manière générale, les enfants progressent toujours en se développant. La seule manière de savoir si votre enfant progresse spécifiquement grâce au traitement proprioceptif, serait de remonter le temps et de rejouer sa vie à l'identique sauf le traitement proprioceptif. Comme le voyage dans le temps n'est pas possible, si l'on veut connaître l'efficacité d'un traitement, il faut utiliser d'autres méthodes que l'observation de cas unique: il faut comparer des groupes qui ont le traitement à des groupes qui n'ont pas le traitement, et tester si les premiers progressent plus que les seconds. M. Quercia le sait bien, ayant lui-même utilisé cette méthode. Le seul problème est que les résultats de cet essai clinique ne sont pas convaincants.
    Semmelweis aussi le savait, d'une certaine manière. S'il s'était contenté de se laver les mains une fois et de constater que sa patiente ne mourrait pas, il n'aurait rien prouvé du tout. C'est bien parce qu'il avait multiplié ses observations sur de nombreux cas, et comparé les résultats avec et sans lavage des mains, qu'il avait abouti à la conclusion correcte. Semmelweis illustre parfaitement la règle selon laquelle, malheureusement, il n'y a pas de raccourci facile que l'on puisse emprunter entre l'observation d'un cas et la démonstration de l'efficacité d'un traitement.
    Concernant les semelles dites "proprioceptives", ce sont bien des semelles compensées. Simplement elles sont compensées d'une certaine manière qui, selon ses prescripteurs, a une influence sur la proprioception.

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  9. Bonjour,

    Alors non seulement mon fils progresse ; mais aussi et je m’en passerais bien, il régresse et parfois de manière spectaculaire chaque fois qu’un des éléments du traitement (lunettes à prismes, semelles proprioceptives) n’est plus adapté. Et il n’y a pas si longtemps que ça, il a régressé juste parce que je l’ai laissé porter durant quelque temps des baskets épaisses au lieu de chaussures à semelles fines et souples comme recommandé pour le traitement. C’est pourquoi je trouve l’usage du terme « semelles compensées » impropre, car dans l’esprit du plus grand nombre, ce sont des semelles épaisses et qu’avec des semelles épaisses, le traitement ne fonctionne pas.
    Quand nous avons décidé de tester ce traitement, j’ai lu tout ce qu’il s’en disait pour me faire une opinion, et j’ai décidé d’écrire un journal à valeur de témoignage sur ce traitement émergent et je le partage sur mon blog. Bien sûr, il n’a que la valeur d’un témoignage personnel et pas d’une étude scientifique, mais je ne pense pas que nous, parents, devons être totalement exclus du débat.

    Par ailleurs, je vais me permettre une remarque sur les arguments du type "la science actuelle refuse d’accepter nos hypothèses, donc nous sommes des génies incompris comme Galilée et autres". Je suis d’accord avec vous, pour l’avoir vécu, sur le fait qu’il est utilisé par toutes les pseudo-médecines, sectes et Cie. Cela dit, on peut trouver des exemples plus contemporains. À ma connaissance, les travaux de Stanley Prusiner n’ont pas toujours été accueillis avec beaucoup d’enthousiasme par ses collègues biologistes…
    Enfin, l’argument que vous avez utilisé « Pensez à tous ces médecins qui, pendant 2000 ans, ont, sur la base de leurs observations cliniques, cru dur comme fer que la saignée améliorait l’état de leurs patients » est celui que j’ai entendu durant toute mon enfance pour valider le fait que les médecins se tromperaient aujourd’hui encore quant à l’usage de la transfusion sanguine (et le scandale du sang contaminé a apporté beaucoup d’eau à ce moulin). Pour ma part, je trouve que la qualité des travaux des tenants de l’hypothèse proprioceptive, dont le Dr Quercia, mérite mieux que ça…

    Pour finir sur les réflexions que m’inspirent vos réponses, n’y a-t-il pas aujourd’hui un biais financier à la validation scientifique d’un traitement non médicamenteux ? Ayant travaillé pendant une quinzaine d’années dans un labo de recherche pharmaceutique, je sais que les études cliniques, surtout sur une large échelle, coûtent très cher. Ce qui a d’ailleurs achevé notre labo qui n’avait plus les moyens du développement des molécules issues de sa recherche et a fini absorbé par un géant de l’industrie pharmaceutique. Du coup, il m’arrive de me dire que si les tenants de l’hypothèse proprioceptive disposaient des moyens des géants de l’industrie pharmaceutique, la recherche dans ce domaine avancerait beaucoup plus vite…

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  10. Monsieur Ramus,
    Vous savez très bien que tous les articles scientifiques qui ont été publiés l'ont été après validation par un comité de lecture indépendant - le plus souvent anglo-saxon - qui a posé beaucoup de questions et qui a obtenu des réponses suffisamment argumentées pour permettre la publication des différents travaux de recherche réalisés.
    Pourquoi voudriez vous que je passe du temps à revalider avec vous 10 ans de publications parce que vous n'êtes pas d'accord avec ces scientifiques (qui sont probablement des minus-habens)? De plus, par votre réponse au journaliste vous avez amené le débat au niveau 0, alors ne comptez pas sur moi pour le ramener à un niveau scientifique en répondant à votre argumentaire.
    Je crois avoir eu une réponse assez pacifique et apaisante,compte tenu du niveau d'agression que représente votre attitude lors de cette émission sur France Inter, en vous invitant à venir à mon cabinet. Vous n'avez pas répondu positivement et c'est finalement très bien.
    Enfin, le docteur Virlet n'a certainement pas cherché à faire une quelconque promotion du traitement proprioceptif. Il a simplement été outré que vous vous permettiez d'avoir des propos calomnieux sur une antenne nationale vis à vis des praticiens qui proposent le traitement proprioceptif aux dyslexiques.Il l'a fait savoir aux instances officielles. Votre étonnement est ...étonnant! Vous ne pouvez pas impunément laisser entendre que des praticiens honnêtes abusent leurs patients et retourner tranquillement dans votre laboratoire.
    Quoi qu'il en soit: clap de fin pour moi.

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  11. L'idée selon laquelle, une fois qu'un article a été dûment expertisé et publié dans une revue internationale (quand bien même Nature ou Science), ses résultats sont établis définitivement et ses conclusions validées, reflète tout de même une vision de la science et de la publication scientifique qui me semble extrêmement naïve. Ou plutôt faussement naïve. Vous ne pouvez ignorer que rien de publié n'est jamais définitivement validé, si ce n'est au terme d'un long processus de vérifications, réplications multiples, aboutissant au consensus de l'ensemble de la communauté scientifique.

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  12. Bonjour,
    Je vous remercie de cette analyse scientifique précise. Mon fils est dyslexique et j'aimerais comme tous les parents une méthode "miracle" surtout efficace pour le guérir. Plus je lis sur le sujet et moins je comprends... Surtout j'ai l'impression qu'il y a plusieurs types de troubles à l'origine de dyslexie et surtout plein d'enfants différents.
    J'aurais tendance à penser que si cette méthode était aussi efficace et sans danger (il n'y en a pas qui régressent ?) elle serait diffusée au delà de la Bourgogne.
    Ignaz Semmelweiss était peut être un génie incompris mais le temps lui a donné raison.
    Pour ma part grâce à votre article je saurais quoi répondre si on me propose ce traitement pour mon fils...

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  13. Bonjour mrou,

    En tant que maman d’un enfant qui suit ce traitement, je peux vous confirmer qu’on peut observer des périodes de régression … quand un élément du traitement n’est plus adapté ! Mon fils a régressé quand il a pris deux pointures et que ses semelles n’étaient plus adaptées, il a régressé quand il a porté des baskets à semelles épaisses non adaptés, il régresse quand il malmène sa monture et que le galbage n’est plus bon, etc. Et on le voit très vite : il n’arrive plus à se concentrer, à apprendre ses leçons, etc. Dans les cas simples, il suffit de faire régler les lunettes, de changer les semelles quand on voit que les pieds de l’enfant ont grandi et si c’est autre chose, de prendre rendez-vous avec son médecin qui réajuste le traitement au terme d’un examen proprioceptif. Et tout rentre dans l’ordre et les progrès reviennent (sans parler de guérison, il ne s’agit pas d’une baguette magique).

    Votre remarque concernant la Bourgogne est intéressante. En effet, ici, nous avons la chance de pouvoir trouver facilement des professionnels qui ont été formés à l’université de Bourgogne (deux ophtalmos, des podologues et des opticiens) et ce traitement n’est plus inhabituel. Il n’est pas rare de voir des enfants avec des lunettes à prismes dans nos écoles (on les repère facilement quand on sait les reconnaître). Dans la classe de mon fils, un enfant dyslexique avait été traité avec un certain succès dès le CE1, alors que nous avons attendu (trop longtemps) le CM2 pour nous lancer dans l’aventure. Quand nous l’avons changé d’école, un autre enfant était aussi traité dans une autre classe. La semaine dernière, j’étais à une réunion de parents d’enfants dys. Nous étions une dizaine et nous étions trois à avoir un enfant suivant ce traitement et à en être satisfaits. Il faut reconnaître que le bouche à oreille marche à plein régime dans notre Bourgogne…

    Alors, de deux choses l’une : ou nous, Bourguignons, sommes tous des provinciaux naïfs et un peu rustres (Ah, les ravages du Gevrey-Chambertin et du Chambolle-Musigny !) ou alors, nous observons peut-être un réel bénéfice du traitement chez nos enfants…

    Quoi qu’il en soit, votre choix de ne pas proposer ce traitement à votre fils est tout à fait respectable et je vous déconseillerais même de l’envisager si vous n’en comprenez pas les fondements.

    Néanmoins, j’estime que notre choix de le faire suivre à notre enfant devrait aussi être respecté (Plus de « traitement fantaisiste », merci …).

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